Je relaie à quelques jours d'intervalle cette chronique de Paul Jorion parue dans le monde le 020309.
Supposons que les gouvernements s'occupent activement des intérêts de la population en ce moment même - et on le souhaite ardemment. Pour réussir, leurs actions doivent bénéficier d'un certain effet de surprise, afin de ne pas être déjouées, par anticipation, par ceux qui sauraient prendre ces nouvelles mesures à contre-pied en vue d'un gain personnel.Les autorités s'expliquent donc le moins possible quant à leurs prochaines initiatives, et quand elles le font - pour calmer les inquiétudes - leurs explications sont formulées en termes à ce point sibyllins qu'il est impossible de savoir - même pour les experts - de quoi il retourne exactement. Mais à défaut de contenu, on travaille la forme : les communiqués respirent la confiance et répètent avec affabilité que les dossiers sont entre les meilleures mains.
La tâche n'en est pas aisée pour autant, car ceux qui expliquent que tout va bientôt rentrer dans l'ordre sont aussi ceux qui répétèrent aux premiers temps de la crise, et avec une sincérité dont il serait difficile de douter aujourd'hui, qu'elle était de faible ampleur et se terminerait incessamment sous peu.
Le capital de confiance dont disposent les autorités s'érode ainsi de jour en jour. Le public qui les écoute est tiraillé entre deux interprétations possibles de leurs trop longs silences et de leurs demi-vérités : incompétence de leur part ou malveillance ? Les deux courants d'opinion se renforcent aujourd'hui, en Europe comme aux Etats-Unis et peut-être même en Asie.
Incompétence pour n'avoir rien vu venir, pour avoir ensuite sous-estimé la crise dans ses premières manifestations et, pour s'abstenir aujourd'hui de prendre les mesures radicales dont nul ne doute plus qu'elles doivent être mises en oeuvre. Ou encore malveillance : tant d'incompétence dépasserait l'entendement, affirment certains. Nos dirigeants et ceux qui les ont portés au pouvoir savent pertinemment, pensent-ils, où ils veulent en venir, à savoir, asseoir davantage leur pouvoir.
La situation des autorités est dès lors intenable : ceux qui leur prêtent une certaine bonne volonté sont obligés de lire dans l'aggravation de la crise les signes grandissants de leur incompétence, quand ceux qui se méfiaient d'eux d'emblée voient se multiplier les signes révélateurs des très noirs desseins supposés.
L'économiste américain Nouriel Roubini expliquait le 21 février dans un entretien au Wall Street Journal qu'il faudrait encore attendre six mois avant que les autorités américaines ne finalisent la nationalisation du secteur bancaire. Si la mesure est indispensable, pourquoi ne pas l'appliquer dès aujourd'hui, l'interrogeait alors son interlocuteur ? Parce qu'il faudra six mois, répondait M. Roubini, pour que plus personne n'ose prétendre être solvable - faisant allusion aux récents propos qui se voulaient rassurants de Kenneth Lewis, le PDG de Bank of America.
Il ne s'agit là que d'un exemple, mais six mois d'attentisme sont une éternité face à la gravité de la crise actuelle. Si ceux qui nous dirigent considèrent que des mesures drastiques s'imposeront tôt ou tard, il devient chaque jour plus impératif qu'ils cessent d'atermoyer : les circonstances atténuantes que leur accordent ceux qui les jugent simplement incompétents ne suffiront plus à les protéger contre la colère de ceux qui les croient malveillants.
Paul Jorion, université de Californie, Los Angeles