“ Le changement, dans son acceptation la plus générale, est inintelligible et contradictoire, c’est-à-dire impossible, sans un principe dont il procède et qui, par là même qu’il est son principe, ne peut lui être soumis, donc est forcément immuable; et c’est pourquoi, dans l’antiquité occidentale, Aristote avait affirmé la nécessité du “ moteur immobile ” de toutes choses. Ce rôle de “ moteur immobile ”, la connaissance le joue précisément par rapport à l’action ; il est évident que celle-ci appartient toute entière au monde du changement, du “ devenir ” ; la connaissance seule permet de sortir de ce monde et des limitations qui lui sont inhérentes, et, lorsqu’elle atteint l’immuable, ce qui est le cas de la connaissance principielle ou métaphysique qui est la connaissance par excellence, elle possède elle-même l’immutabilité, car toute connaissance vraie est essentiellement identification avec son objet. C’est là justement ce qu’ignorent les Occidentaux modernes, qui, en fait de connaissance, n’envisagent plus qu’une connaissance rationnelle et discursive, donc indirecte et parfaite, ce qu’on pourrait appeler une connaissance par reflet, et qui même, de plus en plus, n’apprécient cette connaissance inférieure que dans la mesure où elle peut servir immédiatement à des fins pratiques ; engagés dans l’action au point de nier tout ce qui la dépasse, ils ne s’aperçoivent pas que cette action même dégénère ainsi, par défaut de principe, en une agitation aussi vaine que stérile. ”
René Guénon, La crise du monde moderneGallimard Editions, 1946