mardi 28 mai 2024

Citation 178 Hans Fallada

 


"Extérieurement, rien n'a changé. tranquillité autour des Qu'angle. Intérieurement, plus rien n'est pareil, c'est la guerre..."

in Seul dans Berlin, Hans Fallada,  Folio 2015

samedi 25 mai 2024

Commentaire 106 Raviver de l'esprit 2/3

 


Parmi les pertes de notre contemporain liées aux transformations silencieuses 

# La perte de la présence : apparue brutalement avec l'épisode du Covid  et du confinement , même si elle apparaissait déjà dans nos vies au point d'y voir une nécessité , voire un progrès de l'Histoire. Perte sans doute la plus urgente à penser parce que abîmant si crûment l'humain, aggravant la non-vie , en même temps qu'elle parait compensée par tant d'avantages qui sont patents et par suite la recouvrent et la dissimulent : plus besoin de se déplacer, le numérique nous relie à tous et à tout.

Cette révolution de la présence ne fait qu'aller de pair avec d'autres migrations et renversements : migration des populations d'une région vers d'autres ou migrations projetées dans l'espace ou vers le capitalisme numérique ou la richesse vers les plus riches.

Le statut de la présence  en est bouleversé : d'intermittent , elle devient permanente , continue, ubiquiste et donc aussi désincarnée. Présence augmentée ou diminuée ? Si l'on peut télé-travailler , pourra t-on télé-vivre ? télé-consommer? télé-aimer?

2 Qu'est-ce qu'une perte ? Un constat : je constate que quelque chose m'a été ôté. Le terme s'étend de l'accidentel au structurel, du circonstanciel à l'existentiel. Elle se mesure comme se mesure la raréfaction des lecteurs dans le train ou du public dans les salles. Son caractère structurel fait que nous ne nous en relèverons pas sauf à s'insurger contre elle : elle procède de la mondialisation imposant le numérique comme produit phare du marché et va de pair avec une nouvelle ère du capitalisme. Elle se déploie ainsi du circonstanciel à l'existentiel.

Bien qu'intervenant au ras de l'histoire, elle nous fait toucher du métaphysique : car nous absentant d'emblée de nous -mêmes sans mêmes que nous l'éprouvions, elle nous prive de notre capacité la plus élémentaire d'expérience sans que nous l'apercevions.Nous ne percevons pas encore ce quelle dilapide d'essentiel concernant notre capacité de vie. 

Cette présence qui n'est plus effective , est une non-présence qui participe de la non-vie .

Car la vraie présence est renoncer et même un heurt : on tombe sur quelqu'un qui nous force à réagir. Désertent ainsi la présence ceux qui renoncent à ce que la présence les assaillent . t'ornant en rond dans le cercle coutumier , coïncidant de leurs pensées , ils demeurent incapables de toute percée hors d'eux mêmes pouvant seule les faire accéder à une présence les faisant effectivement rencontrer.

2 Qu'est-ce que la présence ? c'est la présence qui détache et fait ressortir du présent ; Sans elle le présent même nous échappe. Il est de l'ordre non de l'être, mais de l'événement . (d'ou plus il y a de télétravail, plus ill a d'événements) . Grand paradoxe de la philosophie : on ne peut vivre qu'au présent mais vivre au présent est impossible. Pout Saint Augustin : le présent est ce à quoi je suis attentif par opposition au passé, dont je me souviens et au futur que j'attends. Ainsi la meilleure façon de promouvoir dans nos vies un présent effectif est par avènement de la présence. Celle ci rompt avec le continuum indéfini de ma vie antérieure et me met en demeure d'affronter que de l'autre se présente à moi. Cet instant me rendra présent  en dépit de moi même. Ou  sinon cet autre n'est plus autre, il n'a plus sa qualité d'autre , je l'ai rendu semblable à moi et aliéné de lui même. Car l'actuel est don si l'on sait l'accueillir.

La présence n'est pas de l'ordre de la durée mais du surgissement; la permanence qui semble être une consolidation de la présence en est au contraire une déchéance.

 3 La télé-présence détruit l'effectif de la présence ,en tue ce qui en fait la force vive.Elle raye la venue en présence . Un clic suffit à la produire , la conscience n'a pas le temps nécessaire pour la réaliser. Sauf à se débrancher , elle peut se poursuivre en continu et s'éterniser. L'autre n'y est plus abordé, son altérité est gommée. Il ne surgit plus en tant qu'Autre, l'écran qui s'interpose l'a aménagé .

Grace au numérique ,on peut être beaucoup plus présent à tous et à tout : la présence virtuelle étend définitivement la présence jusqu'à la rendre universelle . En même temps, elle ne vous embarrasse plus , vous laissant libre de répondre ou pas et à tout moment de vous "débrancher."

Si on sent encore le dispositif technique, celui ci va s'estomper petit à petit jusqu'à disparaitre. La sensation de présence  nous habitera sans nous déranger: toute distance sera oubliée , toute médiation effacée. 

On ne considérera plus le réel que comme un cas particulier du virtuel.

Si l'on déplace la question de "l'être présent" à se "rendre présent", on comprend qu'on ne peut avoir accès à la présence qu'en se déplaçant. C'est la différence entre regarder un film sur écran chez soi ou aller au cinéma. Choisir la salle, son horaire, faire la queue mobilisent plus le désir , demandent un investissement. En faire l'expérience est à ce prix.

Il n'y a pas de présence sans qu'on ait décoincidé de soi-même pour aller à la rencontre.

La présence en même temps qu'elle singularise monopolise : je renonce à toute autre présence pour être présent ici. Je ferme mon portable , je rate des choses et c'est vrai . En cela elle apparait comme archaïque voire préhistorique mais elle se prévaut alors de ce qu'elle a d'exclusif . Le problème est de pouvoir accepter la perte : nous nous bourrons de de technique pour tenter d'en boucher la fissure. Nous ne savons plus mourir et c'est pourquoi nous ne savons plus vivre.

4 C'est dans la défense de l'effectivité de la présence contre la perte "contemporaine" ,  que se joue le destin de notre rapport à l'Autre, c'est à dire , au fond , ce qui est au principe de l'éthique.                   La présence n'est pas à confondre avec la proximité que l'on peut avoir sur l'écran ou dans le métavers. L'Autre se trouve enclos et figé. L'écart laisse penser à l'autre , à l'espérer et lui permet de pouvoir émerger. La présence effective sait ménager du lointain tandis que la télé-présence prétend supprimer tout lointain. 

L'entrée en présence de l'Autre qui, de même qu'elle ouvre pour moi du présent en interrompant ma morne continuité intérieure , est au départ de l'éthique en me forçant à dé-coincider de moi même. L'éthique ne peut plus simplement se penser en effet à partir d'un Moi autonome, maitre de lui même , comme l'a fait si longtemps la philosophie.Mais bien dans l'ouverture à l'autre, terme encore trop vague et qui est plus précisément cet événement de la rencontre. La présence relevant non pas de l'être mais de l'autre.

Le rabattement de la présence est le rabattement de la rencontre . Car le propre de la rencontre est d'abord qu'elle n'est jamais complètement prévisible dans son surgissement, même si j'ai pris soin de la préparer.    Or le numérique l'aménage si bien qu'elle est d'entrée aseptisée et amortie. La rencontre sur écran  doit d'abord être justifiée  , perdant ce qui fait sa capacité de survenir et de déranger.

Il n'est rien de plus fallacieux que le terme de présentiel fabriqué pour faire de la présence le simple pendant du distanciel, comme s'il s'agissait là de deux modalités équivalentes  donc interchangeables, répondant l'une à l'autre.

Ce que l'on peut retenir de sa facticité est qu'il faudra apprendre collectivement à la contenir dans sa niche en vue de la maitriser: à la tenir dans la société , non pas comme un substitut mais comme un pis aller. Ne pas se laisser prendre au piège de la conformité de plus en plus coïncidant de la pseudo présence numérique.

Le faciès est là sur l'écran mais le visage s'est effacé. Sera perdu du même coup la fête de la présence, en même temps que son affrontement.

Ainsi rencontre et présence sont-ils désormais des enjeux forts et même des concepts d combat pour le monde à venir. Car avec la perte de la présence , il n'y va rien de moins que de l'aliénation de l'humain. Il suffira d'un clic pour aménager l'autre, son altérité féconde s'étant éclipsée.aura disparu du monde , le regard de l'Autre débordant le monde et le fêlant d'infini.

vendredi 24 mai 2024

commentaires 105 Raviver de l'Esprit (1/3)

 



Nouvel opus du prolifique François Jullien (rien à côté de Michel Onfray) où il tente un diagnostic de l'époque sous l'angle particulier de la philosophie. Si tout un chacun s'émeut - à juste titre - sur le réchauffement climatique , c'est parce que ce phénomène  est spectaculaire : la terre se réchauffe et la vie pourrait se raréfier. Mais certains de ses effets sont non moins contestables et moins visibles.

# D'un clic  : tout aussitôt se réalise. L'homme n'aurait-il plus à faire effort. Cliquer c'est cocher mais c'est aussi zapper. C'est resté dans l'instantané le réactif. Ne plus patienter et ne plus persévérer : dès que cela ne m'attire plus je saute. En cliquant , on reste chez soi , on ne s'aventure plus. Dès lors qu'est-ce que je peux rencontrer du monde ? Cette commodité du clic a donc son envers. En plus le stress, ce mal généré par la technologie , c'est à dire l'opposé de la fatigue venant de l'effort intellectuel ou physique n'est jamais loin.

Par ce dispositif et son confort s'organise une paresse, on désapprend des choses, sans s'en rendre compte mais quoi ? Le spectacle en continue , on ne cesse plus de le regarder et cette profusion nous rend prisonnier. Ainsi ce gain se retourne en perte: à pouvoir indéfiniment choisir, one ne peut plus choisir.

La crise , terme le plus admis en Europe pour qualifier notre époque , marquée par l'idée religieuse jamais totalement évacuée , se vit très différemment en Chine. Si l'événement focalise, passionne  et fait saillie c'est parce que c'est sur lui que se braque l'attention. Alors que la transformation silencieuse procède elle d'une logique inverse : elle se déploie sans bruit et on en parle pas. Le réchauffement climatique est le grand événement sonore de notre époque mais quand en est-il d cela vie de l'esprit et de son abattement ?

S'aperçoit-on que les autres ressources de l'esprit pour des raisons analogues au climat , sont en train de s'atrophier et de se raréfier. Ce phénomène est à l'intérieur de nous mêmes, à notre esprit , ce pourquoi on est sans distance pour l'analyser. Pourtant les effets visibles s'accumulent : chute de la lecture, perte de la présence, étiolement du sujet... 

La question devient cruciale : peut -il y avoir vie proprement humaine sans que celle soit également vie de l'esprit ?

De là il incombe à la philosophie , après avoir critiqué la pensée métaphysique et religieuse qui l'a précédée et qui exaltait l'Esprit par rupture d'avec le monde , mais maintenant en retrait , de repenser ce qu'est la vie quand elle ne se borne pas au vital, quand être en vie n'est pas seulement ne pas être mort.

ou comment penser l'invisible de l'esprit sans qu'il renvoie à l'Invisible  ? Il faudra penser une vie dont le contraire n'est pas la mort, lais ce que Jullien nomme la non vie. Une vie alerte,  en essor, la vraie vie. Or ne sombrons nous pas, petit à petit, sous le régime du numérique, par transformation silencieuse dans la non-vie , sans même nous en rendre compte??

C'est la tâche du philosophe contemporain de répondre à ses questions, ne s'occupant plus seulement d'idéalité et de raison pure. Sa tâche n'est pas de commenter le présent (journaliste), ni de le jauger pour l'évaluer à se fins (politiciens), ni de le blâmer (moraliste) , il s'agit de se décaler pour ne pas s'accorder à la mesure du présent , ni de de s'en référer à l'idéalité du passé. Savoir suffisamment se décaler : se décoincider de ce présent pour retrouver une initiative , y trouver une prise pour y produire du commencement. En décoincidant de ce qui s'impose à nous du présent et qui bloque ce présent, de pouvoir y rouvrir des possibles qui donnent à y travailler et remettent ce présent en chantier. 


# L'adieu au Livre : le livre support de notre civilisation depuis un millénaire est en train de s'effondrer en une génération. Il est à la fois le produit d'un montage articulant des énoncés, relève d'un métier , requiert des savoir-faire et a l'ambition de forcer les limites du dicible , il porte le destin du monde.

En quelques décennies il est passé de l'âge de la commercialisation légitime à l'âge de la merchandisation forcée. Un livre n'est plus publié sur ses qualités intrinsèques mais conçu en fonction de la vente attendue qui fait sa justification. Le livre qui marche bien est celui qui trouve aussitôt sa place sur le marché , facile à traiter par les journalistes, coïncidant avec son époque car s'emboitant avec les thématiques  du jour : le care, le vert, la planète, la résilience... Sont  donc mis de côté les livres décoincidant vis à vis d'une attente et d'une attention déjà formée.

Un vrai livre celui qui donne à lire, à penser n'est plus de l'époque car les livres sont achetés souvent pour ne pas être lus. L'effort de lecture existe-il encore ? L'exigence vient aujourd'hui non plus renforcer mais discréditer le statut d'un livre. 

Pourquoi  la lecture est- elle en retrait , quelles qualité requises par elles sont elles en retrait : l'assiduité répondant à la patiente continuité de lire; l'attention pour épouser le "fil du texte"; être pensif : on lit intérieurement en ouvrant les yeux de l'esprit

Lire sur écran n'est pas la m^me chose qu'un livre : on n'entre pas dans l'épaisseur du livre; un clic est beaucoup plus volatile que de fermer et reposer un livre. L'écran veut capter d'emblée, il ne permet pas de relever la tête : le texte demande à être consommé , sitôt affiché.

C'est pour cette lecture pensive qu'il faut se battre pour développer l'esprit fait de patience et d'exigence.

mardi 21 mai 2024

Lexique 358 Les coups

 


"Et tous les coups du monde ne le feront pas changer non plus."

in Seul dans Berlin, Hans Fallada,  Folio 2015

mardi 14 mai 2024

lexique 357 : l'impératif


 "Au siècle 21, l'air du temps diffusait la glose: le "changement" est impératif , l'innovation notre salut ."

in Avec les fées, Sylvain Tesson, Equateurs Littérature 2023.

mardi 7 mai 2024

Lexique 356 : La plaie


 "Car le changement est la plaie, l'angoisse , le malheur de l'homme . Ô que revienne le temps des menhirs. Que cesse l'épilepsie du monde."

in Avec les fées, Sylvain Tesson, Equateurs Littérature 2023.