"Cause the times they are–a–changing…"
Bob Dylan
Expressions - Impressions - Nouveaux concepts - Croyances et Incertitudes d'un Monde qui change
David Cameron vient d'attaquer le multiculturalisme que connut, trente ans durant, la Grande-Bretagne au motif qu'il nourrit l'idéologie extrémiste, faisant écho à la déclaration d'Angela Merkel d'octobre 2010 (« Cette approche multiculturelle, qui dit que nous vivons côte à côte et heureusement nos rapports avec autrui, a échoué. Complètement échoué »), qui faisait elle-même écho au débat d'il y a deux ans sur la Leitkultur, la culture de référence. Mais quel genre de culture de référence David Cameron et Angela Merkel essayent-ils de nous vendre ?
Cette montée en puissance du ressentiment anti-immigration doit être envisagée en ayant à l'esprit la reconfiguration de l'espace politique européen qui, jusqu'à récemment, était dominé par deux courants principaux s'adressant au corps électoral dans son ensemble : un courant de centre droit et un de centre gauche, avec de plus petits partis s'adressant à un électorat plus restreint (écologistes, communistes, etc.). Les derniers résultats électoraux à l'Ouest comme à l'Est signalent l'émergence d'une polarité différente, avec un parti centriste prédominant représentant le capitalisme global, ayant un agenda progressiste (tolérance pour l'avortement, les droits des homosexuels, les minorités, etc.), et, face à lui, un parti populiste anti-immigration de plus en plus puissant. Le cas exemplaire est ici la Pologne, mais des tendances similaires s'observent en Hollande, en Norvège, en Suède, en Hongrie... Comment en sommes-nous arrivés là ?
Nous sommes entrés dans une nouvelle ère, où la forme prédominante de l'exercice du pouvoir d'Etat se résume à une administration dépolitisée et une logique de coordination d'intérêts. La seule manière d'introduire de la passion ici passe par la peur : peur des immigrés, peur du crime, peur de la dépravation impie, peur de l'intrusion étatique, peur de la catastrophe écologique, mais aussi peur du harcèlement (le politiquement correct est la forme libérale paradigmatique de la politique de la peur).
Pour cette raison, l'événement majeur de la première décennie de ce nouveau millénaire, c'est que la politique anti-immigration a quitté les marges de l'extrême droite pour devenir discours dominant.
Dans le nouvel esprit de fierté identitaire, les principaux partis considèrent que les immigrés sont des invités ayant à s'adapter aux valeurs de la société qui les accueille, et considèrent acceptable de penser ainsi. Les libéraux progressistes sont horrifiés par un tel racisme populiste. Pourtant, leur tolérance partage le même besoin de tenir les autres à une distance appropriée. Café sans caféine, crème sans graisse, politique sans politique, jusqu'à l'actuel multiculturalisme libéral en tant que l'expérience de l'Autre privé de son altérité - l'Autre, décaféiné...
Le mécanisme d'une telle neutralisation fut formulé en 1938 par Robert Brasillach, exécuté en 1945, qui se voyait comme un antisémite « modéré » et inventa l'« antisémitisme de raison » : « Nous ne voulons tuer personne, nous ne désirons organiser aucun pogrom. Mais nous pensons aussi que la meilleure manière d'empêcher les réactions toujours imprévisibles de l'antisémitisme d'instinct est d'organiser un antisémitisme de raison. » Une même attitude n'est-elle pas à l'oeuvre dans la manière de nos gouvernements de traiter la « menace immigrée » ?
Une fois le racisme populiste direct rejeté, ils avalisent des mesures « raisonnablement » racistes... et, en modernes Brasillach, certains de ces politiques viennent nous dire : « Nous ne voulons tuer personne, nous ne désirons organiser aucun pogrom. Mais nous pensons aussi que la meilleure manière d'empêcher de violentes initiatives anti-immigration toujours imprévisibles est d'organiser une politique anti-immigration de raison. »
Cette vision d'une désintoxication du prochain témoigne du passage d'une barbarie directe à une barbarie à visage humain. Elle met en pratique une régression, reniant l'amour chrétien du prochain au profit d'une manière païenne de privilégier la tribu face à l'Autre barbare. Même si elle revêt les atours de la défense des valeurs chrétiennes, elle constitue la plus grande menace pour l'héritage chrétien.
Mais l'impasse de l'Europe s'avère plus profonde encore. Les critiques de la lame de fond anti-immigration se cantonnent pour l'essentiel au rituel consistant à confesser les péchés de l'Europe, humblement accepter les limites de l'héritage européen et célébrer la richesse des autres cultures. Les célèbres vers de La Seconde Venue, de William Butler Yeats, articulent à la perfection notre délicate situation : « Les meilleurs manquent de foi tandis que les pires sont animés d'une passion intense. » Comment mettre un terme à cette impasse ?
Au lieu de jouer la belle âme se lamentant de l'Europe raciste nouvellement apparue, c'est sur nous-mêmes qu'il faudrait diriger notre oeil critique, nous demander dans quelle mesure notre multiculturalisme abstrait a contribué à ce triste état des choses. Si toutes les parties ne partagent pas ou ne respectent pas la même civilité, alors le multiculturalisme se transforme en une ignorance ou une haine mutuelle juridiquement régulée. Le conflit sur le multiculturalisme est un conflit sur la Leitkultur, la culture de référence : il n'est pas un conflit entre cultures, mais un conflit entre différentes visions des modalités de coexistence de ces différentes cultures, un conflit sur les règles et pratiques que ces cultures ont à partager si elles doivent coexister.
Il nous faudrait donc éviter de nous retrouver pris dans le petit jeu libéral du « Quelle quantité de tolérance pouvons-nous supporter ? ». A raisonner ainsi, nous ne sommes jamais assez tolérants, ou déjà toujours tolérants à l'excès... La seule manière de sortir de cette impasse est de proposer un projet universel positif partagé par l'ensemble des parties, et de se battre pour lui. Les combats à mener, pour lesquels « il n'y a plus ni homme ni femme, ni juif ni Grec », sont nombreux, de l'écologie à l'économie.
Au lieu de perdre du temps à analyser les coûts et les bénéfices de notre adhésion à l'Union européenne, nous ferions mieux de nous focaliser sur ce que représente en réalité l'Union européenne. A la fin de sa vie, Sigmund Freud exprimait sa perplexité face à la question : que veut une femme ? Aujourd'hui, notre question est plutôt : que veut l'Europe ? Pour l'essentiel, son action est une régulation du développement capitaliste global ; parfois, il lui arrive de flirter avec la défense conservatrice de la tradition. Ces deux voies mèneront à sa marginalisation.
La seule manière pour l'Europe de sortir de cette débilitante impasse est de ressusciter son héritage d'émancipation radicale et universelle. La tâche consiste à aller au-delà de la simple tolérance pour atteindre à une Leitkulturémancipatrice, positive, seule à même de nourrir une coexistence et un mélange authentiques de cultures différentes ; la tâche consiste à s'engager dans la bataille à venir pour cette Leitkultur, cette culture de référence. Ne respectons pas simplement les autres, offrons-leur un combat commun, puisque nos problèmes, aujourd'hui, sont communs.
Slavoj ZizekAvec l’explosion des médias sociaux, le concept d’e-réputation ou de gestion de son identité numérique devient une problématique forte pour les marques et les entreprises, et un nouveau marché de spécialistes de la réputation numérique est en train d’émerger, des éditeurs de logiciels aux consultants et agences spécialisés. Mais que ferez-vous une fois que vous aurez investi quelques dizaines voire centaines de milliers d’euros dans de tels équipements ? Qui fait le travail ? Quels prestataires sont les plus pertinents ? S’agit-il uniquement de RP ?
Un angle d’analyse plus large permet d’identifier, à partir de la manière dont on définit la notion de « réputation », une perspective différente pour adresser le sujet, et partager les responsabilités.
Que recouvre la notion de « réputation » d’une marque ?
Une définition intéressante de la réputation est donnée par Bertrand Cesvet dans Conversational Capital: « la réputation résulte de la proximité entre 3 éléments :
Ce que vous êtes correspond aux produits, services et fonctionnement propres de l’entreprise. Cet élément est de la responsabilité directe de l’entreprise et de ses différents services (marketing, communication, RH, achats…)
Ce que vous dites que vous êtes correspond à l’image que l’entreprise souhaite donner d’elle-même. C’est à la fois du ressort de l’entreprise et de ses agences de communication et relations publiques.
Ce que les gens disent que vous êtes correspond à la manière dont les usagers de l’entreprise la décrivent : consommateurs, clients, partenaires, employés, concurrents, actionnaires…
Plus ces 3 éléments sont proches, plus l’image et la réputation de l’entreprise sont cohérentes et dans la continuité. Plus ces 3 éléments sont éloignés, plus il y a rupture entre la réalité, le déclaratif de l’entreprise et la perception de ses usagers.
Gérer sa réputation consiste donc à gérer l’ensemble de ces trois éléments.
Qu’ont changé Internet et les médias sociaux ?
Internet n’a pas changé la réalité de l’entreprise : ce qu’elle est.
Il a par contre perturbé la gestion traditionnelle de sa communication, grâce à la convergence de deux facteurs principaux :
- Facilité d’expression pour tous (blogs, forums, médias sociaux, fonctionnalités d’interactivité type « poster vos commentaires », viralité, etc.).
- Prédominance des moteurs de recherche et de l’aggrégation autour de mots-clés, qui centralisent des informations de type différent (opinion sur un produit vs témoignage d’un ancien employé) au même endroit pour une entreprise donnée
Comment gérer sa réputation dans un monde digital et interactif ?
Gérer sa réputation aujourd’hui pour une entreprise, signifie gérer les 3 éléments de la réputation en intégrant les spécificités des médias numériques :
Ce que l’entreprise est :
Fondamentalement, une entreprise qui est cohérente avec elle-même n’a pas besoin de « gérer » sa réputation : celle-ci découle de source. La réputation étant la partie visible de l’iceberg, un problème à ce niveau doit surtout alerter l’entreprise sur les dysfonctionnements internes auxquels il faut remédier (on imagine bien qu’une vague de suicides n’est pas un problème de communication, par exemple…).
En ce sens, Internet devient un facteur de meilleure intégration interne au sein des entreprises entre les services communication, marketing, ventes et SAV (service après-vente) – et RH (ressources humaines)! Internet oblige également à reconsidérer les « systèmes de valeur » internes : par exemple, le SAV. Considéré très souvent ces dernières années comme le parent pauvre, le SAV doit être revalorisé comme une clé de la réputation de l’entreprise. Revalorisation qui ne peut se faire sans repenser (et non re-panser) l’ensemble du fonctionnement de l’entreprise et son système de valeurs, si on veut éviter les « pansements » purement cosmétiques et peu durables. Par exemple, un service client qui devient un élément stratégique de l’entreprise peut-il être sous-traité pour optimiser les coûts ?
Ce que l’entreprise dit qu’elle est :
A ce niveau, le changement principal est que la communication de l’entreprise devient potentiellement du ressort de tous ; ce n’est plus le territoire réservé du responsable de la communication et de ses agences. 2 conséquences majeures :
- Chaque employé de l’entreprise étant un ambassadeur, un porte-parole ou un détracteur potentiel, la formation des employés à l’impact d’Internet et à ses différents types d’utilisation est fondamentale.
- La formation des dirigeants s’impose également, car désormais la prime est à la « transparence » : les dirigeants qui ne cherchent pas à camoufler les problèmes mais jouent la carte de la « transparence » traversent les situations difficiles mieux que les autres.
Ce que les gens disent de l’entreprise :
- Exit la notion de « contrôle » de l’information, dans le sens « On / Off » : j’essaie de faire taire les rumeurs désagréables, ou je les remplace par des informations positives. Ce qui marchait avec les médias sans « historique », ne fonctionne plus sur Internet où toutes les informations laissent une trace et restent accessibles au même niveau quelque soit leur date de publication.
- Internet oblige les entreprises à changer de paradigme ; dans un univers où l’information ne disparaît pas, il faut faire en sorte que ce soit l’information positive qui ressorte en premier, ou qui soit dominante. Ce qui signifie changer fondamentalement de stratégie de communication et de relation avec les publics (le sens historique de RP), si l’on souhaite des effets durables et non purement ponctuels : il ne s’agit plus d’émettre des communiqués de presse et d’attendre qu’ils soient relayés, mais d’entretenir une relation durable et d’échange avec des communautés d’influenceurs, par exemple, ou de laisser ses employés s’exprimer comme ambassadeurs (ex : IBM blogs, Microsoft…).
Qui fait quoi?
La prise en compte des 3 éléments de la réputation permet de délimiter clairement le territoire d’intervention des annonceurs et des agences et prestataires et d’éviter au passage des erreurs fréquentes pour cause de vue partielle du problème :
- La réputation sur Internet n’est pas un Graal mystérieux que seuls les spécialistes du web peuvent maîtriser. La réputation est d’abord du ressort de l’entreprise et de la marque, et de sa direction. Avant d’être un problème de communication, c’est un problème de management. C’est une alerte sur un dysfonctionnement, et en ce sens, c’est le meilleur feedback consommateur qui soit (s’il est pris en compte). La nécessité d’intégrer les spécificités d’Internet ou des nouveaux médias ne doit pas réduire le problème à cette seule dimension. Avant d’appeler, paniqués, un « spécialiste » des médias sociaux, à la direction de faire son analyse et le point sur ses objectifs.
- La réputation n’est pas un saucisson qu’on peut répartir entre une douzaine d’agences et de spécialistes différents. Une somme de sons dissonants n’a jamais fait une mélodie harmonieuse.
Un chef d’orchestre est nécessaire, qui doit nécessairement se situer au niveau de la direction de la communication d’un annonceur, en ligne directe avec la présidence. Certains annonceurs l’ont bien compris, mais beaucoup d’autres ont tellement sous-divisé leurs équipes marketing et communication que les responsabilités sont diluées et réparties en micro domaines d’intervention.
La gestion de la réputation peut donc nécessiter d’abord une réorganisation interne ou une redéfinition de la zone d’intervention interne de la direction de la communication (interne, RH, SAV…)
- Cela prend du temps. Car finalement, gérer sa réputation équivaut à gérer sa RELATION à ses différents publics et usagers, et une relation solide et durable ne se construit pas en un jour. Les bons prestataires seront donc les spécialistes expérimentés, capables de transformer une vision d’entreprise en projet relationnel tout en maîtrisant les spécificités du web : par exemple, interrogez votre prestataire sur son expérience en matière de construction ou d’animation de communautés (les journalistes peuvent être une communauté), dans la durée. Intéressez-vous également aux termes de l’échange : sur quel mode s’est construite cette relation ? Sur un échange de contenus, ou de cadeaux ? Le premier est un bon indicateur, le second beaucoup moins…
En conclusion, l’émergence du concept d’identité numérique ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt, et le prétexte à des expérimentations hasardeuses avec des spécialistes improvisés pour être dans le vent. La réputation d’une marque ou d’une entreprise n’est ni plus ni moins que son capital immatériel, comme l’analyse Bertrand Cesvet dans Conversational Capital. Cela a le grand mérite de réinviter les dirigeants d’entreprise et de marque dans la relation avec leurs clients, et de les mettre en droite ligne face à leurs usagers, et donc face à leurs responsabilités : c’est d’abord à eux qu’il faut faire appel pour gérer la réputation tout court d’une marque, et la stratégie à avoir sur Internet en découlera de source. Un bouche-à-oreille positif généré par une communauté d’usagers engagés en sera la partie visible et presque automatique si l’ensemble du travail de la marque ou de l’entreprise est bien fait. Les gagnants ne seront pas les mieux costumés, ce seront ceux qui auront su écouter et tenir leurs engagements, dans le monde réel dans lequel nous vivons tous.
Cet article a été également publié sur le site du MRM LAB.