vendredi 14 juin 2024

Commentaire 106 Bonus 4/3 : De l'esprit, concept de combat


 1 Il ne s'agit pas ici de l'âme mais de l'esprit . L''âme par son histoire est à jamais connotée : est-elle immortelle ? Elle a un rapport avec le vital et l'esprit avec le vivant. Proposition de faire de l'esprit un concept de combat pour lutter contre cette non vie en train de nous enserrer.                                                  L'esprit n'est pas un être car il faudrait alors situer ontologiquement ce niveau d'être en le détachant de ce monde .   Ni une force car il faudrait se demander de quel ailleurs elle vient.                                                                                                                                                        L'esprit n'est pas un souffle, un pneuma car il faudrait se demander d'où il procède, d'où il vient  .                        C'est une capacité, sans statut , ni nature propre. Sans exaltation, célébration ou domination excessive.                     Pas d'opposition de l'évolution présente à un âge d'or , pas de procès de l'objectivité technico scientifique , mais simplement le constat d'une inertie du sujet à travers la perte d'effort et d'exigence qui doit nous alerter.

Si de l'esprit ne s'oppose pas radicalement au monde, ni non plus ne s'identifie à lui, c'est pas un écart qu'il ouvre avec la clôture et la fonctionnalité du monde.

2 On ne conçoit pas de l'esprit en le distinguant et l'opposant du corps (comme chez Descartes) , de la nature (Valéry) ou du monde (christianisme) , mais par écart avec ce qui se clôt en corps, avec ce qui se borne en nature ou en monde. Il est impossible donc de le définir en différence sans qu'il se fige aussitôt en essence et en devienne suspect.

Il y a de l'esprit à l'oeuvre, dès lors que de l'enfermement s'ouvre, qu'un fonctionnement sed éclot, qu'un horizon se déborde, qu'une totalisation se fissure. De là l'esprit peut devenir un concept de combat pour résister à ce qui menace aujourd'hui dans le monde s'enfermant dans sa technicité , s'enlisant dans sa commodité, devenant un monde de procédures et de dispositifs se limitant au fonctionnel et, par là , au réactif: un monde du clic, des portails, des cases à cocher , d'algorithme et de robotique supprimant l'effort et l'initiative et ne laissant plus - par écart - de l'esprit circuler. 

Il y a l'esprit à l'oeuvre par dés-obstruction , dés-opacification , dé-matérialisation et dé-réification. Il y a de l'esprit à l'oeuvre quand apparait de l'entre , laissant s'espacer et passer , permettant à du réel , quel qu'il soit , d'entrer en essor et de s'activer. de l'esprit relève non pas de la propriété mais de la capacité. Il se pense non pas pas différence mais pas écart, d'où vient son déploiement.

L'esprit n'est que dé coïncidant , ce qui , en coïncidant , se fige, se ferme et se stérilise. Au lie de penser l'homme par différence avec l'animal, il s'agit de le penser comme ouvrant un écart par rapport à cette animalité.

Le monde semble menacé parce qu'il se laisse enchâsser dans sa coïncidence idéologique, enfermer dans sa technicité trop commode, emboiter dans sa fonctionnalité bon marché.

3 Un esprit lavé de l'idéalisme de son emploi théologique , banni de sa sacralisation dans l'Invisible qui le condamnait.De la  Religion qui  l'a sanctifié (le Saint Esprit) , de ce qui l'a moralisé (la chair contre l'esprit), de ce qui l'a théâtralisé (la tentation du désert), de ce qui l'a dramatisé... L'Eglise en s'appropriant et en dogmatisant l'Esprit , l'a réduit à notre crédulité.

La lettre tue, l'Esprit vivifie dit Paul. La formule est à retenir car l'Esprit en débordant, en se dégageant fait vivre, porte à l'essor trend alerte. il faut du tiers et de l'écart pour que le relation ne s'étouffe pas.

Le shen chinois désigne d'abord les esprits des ancêtres auxquels on sacrifie, l'au delà du sensible, le monde du divin et du numineux. Ce numineux ne se sépare pas de semonce, il accompagne le processus en cours; c'est une capacité à l'oeuvre. Il permet d'aller vite sans se presser, d'atteindre sans se déplacer; son efficience n'est pas magique , séparée ou réservée et ne cesse d'opérer dans tous les avènements du monde. 

Il ouvre la pensée de l'esprit à de la transcendance mais sans verser dans le dualisme. Ainsi un paysage est bien fait de physicalité mais est en même temps aspiré par une dimension d'esprit.

4 On veut aujourd'hui rendre tout chose plus proche de soi , en même temps qu'on prive le phénomène de son unicité du fait de sa reproductibilité : de l'esprit ne s'en dégage plus.

On souhaite par exemple valoriser les territoires, c'est à dire les soumettre à des critères de gestion et de rentabilité , de commodité pour les visiteurs dont on constate qu'ils mettent ces lieux sous cellophane, qu'ils ne respirent plus et ainsi n'inspirent plus. La fonctionnalité désormais prédomine : ce qu'il faut offrir à voir . Tout ce qui se présente sous les yeux est donné à consommer à nos contemporains. On n'y a plus à s'aventurer, à découvrir.On s'ennuie à vrai dire à visiter tout ce cadré , si bien concerté, coïncidant avec les clichés de l'éblouissant et du beau. On ne fait plus que passer en ces lieux le temps d'une visite.                    Ce qui tue l'esprit , du côté des choses c'est la fonctionnalité des installations, leur optimisation conçue en terme d'infrastructure. Dans ce monde de dispositifs , n'ouvrant plus d'écart , l'esprit ne peut plus circuler et même émerger.

5 Ce n'est pas tant que la disparition de pans entiers de notre savoir qui inquiète car il est légitime qu'avec le temps notre intérêt ait à muter selon d'autres modalités , sur de nouveaux canaux, d'autres lieux d'invention mais il est à se demander si l'humanité prise dans ses investissements de gestion, de rentabilité , de communication se plait encore à penser. Spéculer s'entend -il encore de façon non financière mais théorique ?  Même les livres de savoir veulent désormais divertir détournant l'esprit de lui même. Il n'y a plus d'attention que pour le voyant et l'affiché.

Militer pour l'esprit , en faire un concept de combat , ce n'est pas militer pour des valeurs mais se mobiliser pour que de l'esprit rende effectivement vivant ne se bornant pas au vital , non pas plus tard, mais à chaque instant.

De renverser l'état des choses nous n'avons pas la force; et dénoncer ne s'entend pas ; mais saurons nous au moins fissurer l'opacité qui monte, qui nous enferme implacablement dans ses parrains mais que nous ne voyons pas : ouvrir quelque interstice dans la saturation qui désormais fait monde - ou de l'esprit puisse se déployer ? 

Pourquoi ne pas en faire une cause nationale et mondiale, réunissant l'humanité face à son danger , comme on le tente de le faire pour l'autre menace concernant la planète? 

Cette alerte nous concerne tous . Au risque sinon de voir non seulement la terre bruler , mais aussi, par perte d'esprit , de son feu, nos vies se glacer.