jeudi 14 novembre 2013

Le Capital au XXIième siècle (1)


Le sérieux des études et la pédagogie des explications sont certainement les deux grandes qualités de ce livre, en dehors de la pertinence de sa démonstration ,que je laisse à l'appréciation de chacun.
Le sujet est immense puisqu'il s'agit de comprendre les mécanismes de répartition des richesses et leur évolution en Europe et aux USA, jusqu'à lInde et la Chine , de les comprendre mais aussi de les mesurer par 15 ans de Recherche avec toute une équipe de correspondants.

Les questions de départ :  les principales questions qui provoquent très souvent des débats animés ,des affrontements même plutôt que des échanges d'arguments faute précisément d'argumentation .
"La dynamique d'accumulation du capital privé conduit elles inévitablement , comme le croyait Marx à une concentration toujours plus forte de l richesse et du pouvoir ?"
"Ou bien les forces équilibrantes de la croissance, de la concurrence et du progrès technique conduisent elles spontanément à une réduction des inégalités dans les phases avancées de développement, comme l'a pensé Kuznets au XX°siècle?"
La question centrale étant : "Que sait -on réellement de la l'évolution de la répartition des revenus et des patrimoines depuis le XVIII°siècle, et quelles leçons peut on en tirer pour le XXI°siècle ?"

Ricardo,Marx et Kuznets , précurseurs pas toujours heureux de ces  questions :
Ricardo,économiste du début du XIX va s'intéresser à l'évolution du prix de la terre et au niveau de la rente foncière. Il définit le principe de rareté. Sa thèse est que la Loi de l'offre et de la demande devrait conduire à un hausse continue du prix de la terre et des loyers versés . Ils devraient donc à terme recevoir une part de plus en plus importante du revenu national , au point ou cela deviendrait destructeur pour le reste de la population
Un seul remède augmenter sans cesse l'impôt sur la rente foncière pour rééquilibrer.
L'issue a été différente car si la rente foncière est restée à un bon niveau pendant des années, elle a fini par diminuer à mesure que le poids de l'agriculture baissait dans l'économie et la valeur des terres également en conséquence.
En écrivant en 1810 Ricardo ne pouvait prévoir l'ampleur du progrès technique et la croissance industrielle qui aurait lieu au XIX.

Marx, publie en 1867, déjà une autre époque portée sur la révolution industrielle et plus sur l'agriculture. Le fait marquant est la misère du prolétariat industriel.Des années 1800 aux années 1860 les salaires stagnent à des niveaux très faibles et la période 1870-1914 marquera un rattrapage pour une stabilisation des inégalités à un niveau élevé.
La thèse principale de Marx dans le capital est le principe infini d'accumulation du capital avec une issue apocalyptique : soit on assiste à une baisse tendancielle du taux de rendement du capital (ce qui tue le moteur et pousse les capitalistes à s'entre déchirer), soit la part du capital dans le revenu national s'accroit indéfiniment (ce qui pousse les prolétaires à la révolte).
Il a une vraie intuition : dès lors que le taux de croissance de la population et le de la productivité sont faibles, les patrimoines prennent une importance considérable, potentiellement  démesurée et déstabilisatrice pour les sociétés;

Pour Kuznets au XX°, les inégalités de revenus sont spontanément appelées à diminuer dans les phases avancées du développement capitaliste .Proposée en 1955, il s'agit d'une théorie des  30 Glorieuses.
Cette théorie s'appuyant sur le 1ière mesure du genre aux USA a eu un énorme retentissement jusque dans les années 1980-90 dans le monde.
Son analyse porte sur l'impôt sur le revenu,la part des déciles supérieurs dans le revenu national américain.
Il constate une forte réduction entre 1918 et 1948: concrètement les 10% les plus riches pèsent 45à 50 % du revenu national dans les années 1910-20 pour passer à 35-40% à la fin des années 40.
La réduction est nette.
Sauf que cette réduction est constatée dans l'ensemble des pays riches entre 1914 et 1945 et est avant tout le produit des deux guerres mondiales et des violents chocs économiques et politiques qu'elles ont entrainé. Pas grand chose à voir donc avec un processus paisible de rééquilibrage.

mardi 5 novembre 2013

Le nouvel esprit du capitalisme (2)


Ce gros livre paru en 1999 chez Gallimard et ressorti l'année dernière en poche chez Tel; gros par son poids bien sur, on frise les 1000 pages mais surtout pas son contenu, son retentissement dans la sociologie et la pensée critique.
 15 ans après sa publication, on mesure peut être encore mieux la pertinence de la grille de lecture et les intuitions du modèle proposé par Luc Boltanski et Eve Chiapello.



Suite du modèle, tel que proposé de façon quasi axiomatique en fin d'ouvrage :
2 Le étapes du changement de l'esprit du capitalisme 
La critique en régime d'accord sur les épreuves importantes :
-> on peut distinguer 3 types d'épreuves dans les années 60/70 : le partage de la valeur ajoutée c'est à dire les épreuves dont dépendait la relation salaire/profit ( nature des tâches, rémunération, types de contrats..); les épreuves qui légitimaient les  asymétries en terme de pouvoir ou de hiérarchie (autorité du mandarin en milieu scolaire); les épreuves sur lesquelles reposaient la sélection sociale (épreuves scolaires, recrutements professionnels)
->La critique dévoile ce qui dans ces épreuves transgresse la justice

- La tension des épreuves instituées sous effet de la critique
->après une période plus ou moins longue de conflits au cours desquels se déploient des séquences de critique et de justification , les épreuves finissent par être plus fortement contrôlées, épurées et mises en conformité avec les modèle de justice en vigueur
-> A mesure que les épreuves sont épurées le modèle social devient un peu plus juste
-> Les "Grands " se trouvent toujours confrontés à une tension : en tant que parti lié avec les épreuves instituées ils se montrent volontiers conservateurs, mais étant à la recherche permanente de nouveaux chemins de profit , ils ne peuvent s'empêcher "d'ouvrir la boite de Pandore" ou se trouvent enfermées les forces qui avaient du être maîtrisées pour que l'état du monde soit moins contestable.
->Les "Grands" sont prêts à critiquer les règles, régulations, moralisme comme autant d'entraves à l'accomplissement des grandes choses auxquelles ils se sentent appeler.

- Les déplacements et le détournement des épreuves instituées
-> Certains réussissent , tout à coup, on ne sait pas comment
-> Ces déplacements ne sont que la manifestation de la dynamique du capitalisme
-> L'accumulation des déplacements contribue à défaire les épreuves instituées qui se trouvent contournées et inutiles car elles permettent de moins en moins d'instaurer les liens qu'elles permettaient avant.
->Il faut se garder de voir dans les déplacements le résultat d'une stratégie d'ensemble élaborée dans des instances secrètes et appliquées d'en haut.

- Les déplacements trouvent leurs premiers éléments de légitimité en jouant sur les différentiels entre les forces critiques
->La critique n'est ni univoque , ni immuable , elle a une pluralité de fait et il est possible que des déplacements du capitalisme puissent répondre à certaines demandes tout en contournant les épreuves

- La neutralisation de la critique des épreuves instituées sous l'effet des déplacements
-> les déplacements du capitalisme et les changements qui les accompagnent contribuent à neutraliser certaines critiques en satisfaisant certaines exigences
-> la critique est elle moins mobile que le capitalisme .Les instances critiques n'ont pas l'initiative du déplacement.Elles ont des centres de calcul faibles.Leur mode d'action est direct par le refus du travail ou la grève , ce qui leur donne une certaine inertie.

- Les effets destructeurs des déplacements et la mise en danger du capitalisme lui m^me
->Un capitalisme sans contrôle a de fortes chances d'être à l'origines de plusieurs types de désastres : inégalités, chômage, maladies suscitées par le travail, environnement..
-> sous trait à tout contrôle le capitalisme ne connait d'autre critère que l'intérêt particulier des plus forts et n'a aucune raison de prendre en compte l'intérêt général.
->Une telle évolution marquée par la disjonction entre croissance des profits à l'avantage d'un nombre restreint et accumulation de difficultés pour le plus grand nombre comporte un risque pour le capitalisme : désengagement des personnes
->Sans la participation active du plus grand nombre comme travailleur,consommateur , investisseur , le processus d'accumulation ne peut s poursuivre.
->Second type de risque provient du désajustement entre le capitalisme et l'état par les déplacements : le capitalisme a besoin de l'état , car c'est lui qui garantit un certain nombre de droits comme celui à la propriété.
->La paupérisation entraînée par des déplacements constitue un autre facteur de risque par une diminution de la consommation
->Un capitalisme qui ne s'accompagne pas d'une élévation du niveau de vie du plus grand nombre perd de sa crédibilité.

- Le rôle de la critique dans l'identification des dangers
->ce sont les mouvements critiques qui informent le capitalisme de ce qui le menace
->le fait que le capitalisme entende a critique ne veut cependant pas dire qu'il réponde concrètement en changeant de modes d'action

- La relance de la critique
->Par ses déplacements le capitalisme se redéploie en s'affranchissant de la critique. L'avantage obtenu est un gain de temps, non une victoire définitive
->La reprise de la critique se fait souvent depuis une position anachronique : en jugeant le présent à l'aune d'idéaux du passé; la critique prend la forme d'une défense conservatrice des épreuves instituées que les mouvements sociaux antérieurs avaient contribué à rendre plus justes.

- La construction de nouveaux dispositifs de justice
La reprise de la critique conduit  à la formation de nouveaux points d'appui normatifs  avec lesquels le capitalisme doit composer
Ce compromis s'affirme dans l'expression d'une nouvelle forme d'esprit qui enferme comme les précédents des exigences de justice
Pour que les nouveaux dispositifs de justice se mettent en place, une force extérieure est nécessaire, celle du droit.

- La Formation des cités
->Les cités sont des métaphysiques politiques , une forme de vie est à un moment donné identifiée et montée en généralité de façon à servir de support à une définition du Bien commun.
Une Cité a des chances de se mettre en place quand un groupe d'acteurs prenant appui sur un monde stable de dispositifs et d'objets voit sa puissance s'affermir,en sorte que ses membres se sentent en mesure de revendiquer une reconnaissance propre et de se targuer d'une contribution spécifique au bien commun.
->Ils peuvent alors chercher à élaborer pour eux mêmes et à faire reconnaître par les autres, une valeur, une grandeur qui définissent en propre la façon dont ils ont prise sur le monde.
->En un sens la formation d'une cité peut être vue autant comme une opération de légitimation d'un nouveau monde et des nouvelles formes d'inégalité ou d'exploitation sur lequel il repose, que comme une entreprise visant à rendre ce monde plus juste en diminuant le niveau d'exploitation qu'il tolère

Dans la période actuelle la constitution d'une cité par projets prend en charge la légitimation des épreuves efficaces dans un monde connexionniste et des formes nouvelles de réussite ou d'échec propres à ce monde. Ainsi les nouvelles  épreuves se trouveraient validées en toute généralité tout en étant soumises à des contraintes, ce qui légitimerait le niveau d'exploitation.