Confusion, indécision, résistance, frustration, faux départ, les pires scénarios d'une mauvaise transformation se sont déroulés sous nos yeux la semaine passée. Je vous propose de relire les événements du point de vue d'un consultant, qui, loin de tout connaître de cette affaire mais familier des fusions et réorganisation, vous invite à une libre interprétation sous l'angle de la conduite du changement, surtout de ses symptômes et de ses plus mauvaises pratiques. Une séquence assez exceptionnelle, par la succession d’erreurs enchainées, une forme d’hommage indirect également à un métier d’accompagnant du changement.
Lundi matin j'animais un séminaire avec les dirigeants de deux entreprises qui viennent de fusionner, quand j'ai reçu le sms de mon ami François : t'as vu la news ??? Fusion Stade -Racing !!! Les ??? et les !!! m'indiquaient simplement l'ampleur de son incrédulité, sa sidération, la mienne également à l’instar de la plupart des acteurs : joueurs,salariés et supporters (plutôt d'un seul club d'ailleurs, c’était curieux ) ;quelques heures plus tard, lors d'une réunion à Jean Bouin, ils allaient tous passer de la stupeur à la colère, une colère toute maîtrisée comme la prise de parole de @Pascal Papé (le capitaine emblématique du club) . Le processus de deuil était déjà en route, mais allait se fixer pour un bon moment en mode colère.
#confusion : entre discours forcé et embrassades crispées, la conférence de presse des mariés du lundi et surtout leur annonce de fusion, avait provoqué la colère de tous les membres du Stade Français, une relative indifférence de celle du Racing, les réactions atterrées des journalistes et commentateurs, la plus grande confusion régnait ; rien n'était claire sauf peut-être une chose : l'absence de vision partagée du projet. Une vision ambitieuse et équilibrée pour chacun des deux clubs, dans laquelle chacun puisse se projeter et avoir quelque chose à y gagner. A ce stade seuls acheteur et vendeur semblaient heureux et soulagés d'avoir fait un bon deal.
#indécision : dans une fusion le rôle (du ou des pilote) est principalement d’organiser et coordonner les actions, entraîner les équipes, donner du sens et de la cohérence aux différents messages. C’est ce qu'ont essayé de faire durant plusieurs jours les 2 principaux protagonistes. Sans grand succès car très vite sont apparues les premières carences en termes de stratégie. On avait un peu l’impression jusqu’au week-end dernier qu’ils réagissaient ou subissaient plus qu’ils ne conduisaient les événements. Il faut dire qu’entre temps la quasi-totalité des acteurs de l’écosystème, instances fédérales, politiques, médias, anciens joueurs ou dirigeants et bien sûr salariés du club, avaient tous fait entendre leur point de vue dissonant et une très grande inquiétude quant à la disparition programmée du Stade Français.
#résistance : elle s’exprime à l’occasion de ce type d’événement mal préparé et exprime souvent l’absence d'engagement et de mobilisation des acteurs en faveur du projet ; du côté du Racing cela semblait encore très abstrait, leur position ne semblait pas menacée dans l'immédiat et l'immédiat c’était le match de samedi à Montpellier. Malgré tout les dissensions au sein du groupe entre concernés et moins concernés allaient être suffisantes pour pénaliser la préparation de ce match et demander son report. Pour les joueurs du Stade Français la réaction était bien plus forte, plus simple également : jouer au jeu de rugby alors que l'on va disparaitre n'avait plus de sens et la grève était annoncée, la résistance pouvait s'organiser fortement. (98% de grévistes avait annoncé le capitaine).
#frustration : le fort sentiment de colère se doublait pour chacun desacteurs, d'une énorme frustration à ne pas pouvoir agir sur les événements, n'ayant jamais été invité par les dirigeants - pilotes projet à y participer (pour les joueurs, ils avaient appelé cela : « gérer les rh « en conférence de presse !). C'est portant là une des clés de succès de habituelles la conduite du changement, bien connue de tous les managers : travailler avec l'ensemble des acteurs à définir les plans d’action, les tactiques avant de les mettre en œuvre. C'est également, je crois une clé de succès des sports collectifs. Ecartés de cette phase de préparation, et donc de toute considération comme partie prenante de l’opération, l’ensemble des acteurs ne pouvait plus demandé que le retrait du projet. Ce qui fut confirmé lors de la réunion-manifestation à la Ligue vendredi et confirmé par les deux dirigeants ce week-end.
#faux départ : en conclusion tout semble indiquait dès le départ …un faux départ, une espèce de contre-exemple des bonnes pratiques. Un peu comme si, mais non ce n'est pas possible, pas dans le monde du rugby avec ses valeurs, un peu comme s’il s'était agi d'une simple fusion- absorption - disparition du Stade Français par le Racing. Malheureusement ce retrait ne règle pas tout voire amplifie toute une liste de problèmes internes jusque-là peu visibles et qui se sont révélés au grand jour : sportif (le Stade Français n’est pas en très bonne posture après une mauvaise saison) , actionnariat (un actionnaire principal en partance) , modèle économique (pas de modèle équilibré entre recettes et dépenses), gouvernance (quel patron ? quelle stratégie)…
Un faux départ donc pour ce projet mais de vraies difficultés, que les nombreux soutiens spontanés des derniers jours, la cohésion renforcée des joueurs et le bon sens retrouvé des dirigeants parviendront peut-être à surmonter .
#stadefrançais