mercredi 30 octobre 2013

Lexique 120 : Les gens



-       Je peux changer !
-       Toi peut être mais tu ne changeras pas les gens.
Le Tueur du Montana.1953

mercredi 23 octobre 2013

Le nouvel esprit du capitalisme (1)

Ce gros livre paru en 1999 chez Gallimard et ressorti l'année dernière en poche chez Tel; gros par son poids bien sur, on frise les 1000 pages mais surtout pas son contenu, son retentissement dans la sociologie et la pensée critique.
 15 ans après sa publication, on mesure peut être encore mieux la pertinence de la grille de lecture et les intuitions du modèle proposé par Luc Boltanski et Eve Chiapello.

Dès le prologue les auteurs nous expliquent que le projet est né au début 1995 d'un trouble commun suscité par la coexistence d'une dégradation de la situation économique et sociale d'un nombre croissant de personnes et d'un capitalisme en pleine expansion profondément réaménagé.
L'objectif que ce sont fixé les auteurs n'est pas tant de dénoncer ou proposer des solutions pour amender  la situation que de comprendre l'affaiblissement de la critique et son corollaire c'est à dire le fatalisme dominant, que les changements actuels soient présentés comme des mutations inévitables mais à terme bénéfiques ou comme le résultat de contraintes systémiques aux résultats toujours plus désastreux.
L'objet est donc : les changements idéologiques qui ont accompagné les transformations récentes du capitalisme.
Une définition minimale du capitalisme : une exigence d'accumulation illimitée du capital par des moyens pacifiques.
Voici le modèle, tel que proposé de façon quasi axiomatique en fin d'ouvrage :
1L'axiomatique du modèle de changement :
11Le capitalisme a besoin d'un esprit pour engager les personnes qui sont nécessaires à la production et à la marche des affaires.
->ces personnes ne peuvent en effet mises et maintenues au travail de force
->la liberté est ontologique au capitalisme et suppose la liberté de travailler
12 L'esprit du capitalisme pour être mobilisateur doit comporter une dimension morale
->il doit offrir la possibilité aux personnes d'avoir recours à une notion de justice et à une certaine sécurité
->Le capitalisme ne pouvant trouver son fondement moral dans la logique du processus d'accumulation, doit emprunter à des forces de justification qui lui sont extérieures (nommées cités) les principes de légitimité qui lui font défaut
13 Le capitalisme pour se perpétuer a besoin à la fois de stimuler et de freiner l'insatiabilité
->il est le lieu d'une tension permanente entre la stimulation du désir d'accumulation et sa limitation par des normes correspondant aux formes que prend le désir quand il est enchâssé dans d'autres ordres de grandeur.
14L'esprit du capitalisme ne peut être ramené à une idéologie au sens d'une illusion sans effet sur les événements du monde
->Il doit dans une certaine mesure donner ce qu'il promet
->Il est sans arrêt mis à l'épreuve, l'invoquant comme un idéal, dénoncent ce qui dans la réalité échappe à la règle.
->La critique exerce des effets réels car pour résister dans l'épreuve la justification du capitalisme doit pouvoir prendre appui sur des dispositifs (règles, conventions)  dont le droit est l'une des expressions
15 Le capitalisme a une tendance perpétuelle à se transformer
La recherche de nouveaux chemins de profits est une force puissante de transformation, soit qu'il s'agisse de surmonter les effets de saturation des marchés par la création de nouveaux produits ou services, soit qu'il s'agisse de restaurer des marges érodées par la concurrence en gagnant pour un certain temps un avantage sur les autres compétiteurs.
16 L'opérateur principal de création et de transformation de l'esprit du capitalisme est la critique (the voice)
->Si la critique n'est pas l'agent de changement principal, en revanche son rôle est central dans la construction de l'esprit qui , sous des formes différentes, à différentes époques, accompagne le capitalisme.
->Elle fait pression sur les épreuves identifiées de façon à les rendre plus justes en éliminant les forces parasites.
->Parce qu'elle contribue à former cet esprit, la critique est nécessaire à l'engagement des personnes dans le processus de fabrication du profit,elle est un de ses instruments de sa capacité à durer ; une alternative : soit ignorer la critique inutile, soit la récupérer.
17 Sous certaines conditions la critique peut être elle m^me un des facteurs de changement du capitalisme (et pas seulement son esprit)
18 La critique puise son énergie à des sources d'indignation.
->4 sources principale : l'exigence de libération, l'inauthenticité des personnes et des biens, l'égoïsme, la souffrance


mercredi 16 octobre 2013

La lecture en silence de Saint Ambroise

« Quand il lisait, ses yeux étaient conduits à travers les pages, et son esprit en perçait le sens, mais la voix et la langue, en revanche, étaient en repos. Souvent en franchissant le seuil de sa porte, dont l’accès n’était jamais défendu, où l’on entrait sans être annoncé, nous le trouvions lisant silencieusement et jamais autrement, et nous restions assis plongés en un silence continu – qui, d’ailleurs, aurait osé être une gêne pour quelqu’un d’aussi absorbé ? »
Saint Augustin rapporte cette histoire que l'on peut dater de 384.
Elle décrit une personne lisant en silence et cela l'étonne grandement : l'écrit devient un langage spécifique et non plus la transcription de l'expression orale qu'il fut à l'origine.

mercredi 9 octobre 2013

La Condition numérique (2)


Notes et commentaires à partir de l'excellent livre de Bruno Patino et Jean François Fogel.

4/ La Carte et le  territoire :
Internet : des centre partout, des marges nulle part.
Le territoire est aussi vaste que le monde et il se parcourt sans carte.
Bill Gates avec son système d'exploitation et Steve Job avec les ordinateurs ont permis à chaque individu de produire sa propre information , là où ils le voulaient.
C'est comparable à l'invention du courant électrique alternatif pour l'industrie : avant tout les activités de production étaient localisées là où on disposait d'énergie

Les merveilleux nuages :
connecter son ordi aux fermes de données n'est pas un changement d'échelle mais un changement de nature de l'activité. Au lieu de considérer son ordi comme un abri où il garde dans son DD images, textes, documents, on le considère comme une fenêtre ouverte sur l'espace numérique
Une poignée d'acteurs , 5 entreprises ( Google, Microsoft, Facebook, Twitter, Apple) influencent l'accès à l'information en contrôlant les principaux canaux de distribution.

La cyber guerre :
Les USA ont déclaré en juin 2009 qu'Internet était leur 5 ième théâtre d'opérations après : terre, air, mer, espace et ont créé un commandement militaire associé.

5/ L'information :
3 langages cohabitent aujourd'hui : la parole, le texte et le code
Le code :
Le code est ce qui donne à celui qui le maîtrise : une capacité à créer, l'activité du lecteur et le contenu potentiel du texte.
Le code ne flotte pas , il laisse la parole se charger du discours; il n'a pour but que l'action
La présence du code croît de plus en plus avec l'offre de de dizaines de milliers d'applications
Signifié et signifiant se fondent dans l'obtention d'un résultat  sans aucune place pour le symbolique ou l'imaginaire
Rentrer dans le code
Dave Clark en 1992 : "Nous rejetons les rois, les présidents et le vote. Nous croyons au consensus et à l'exécution du code"
Une frontière s'installe sensiblement entre ceux qui connaissent le code , savent s'adresser aux machines et comprendre leurs comportements et les autres.
Maîtriser le code devient un enjeu dans de nombreux métiers

Le texte :
Avec le christianisme le codex a supplanté les rouleaux et l'Evangile a été lu page après page.
Le passage du codex au fichier a mis près de 2000 ans.
Deux décennies d'Internet couplées à l'explosion du Web ont plus changé le texte que ces 2000 ans

L'hypertexte :
Au coeur de la vie numérique , il permet de sélectionner, éditer, partager des contenus

6/ La culture et le savoir :
Sur Internet on trouve tout sauf la théorie qui explique sa pratique
La distinction entre auteur et lecteur est en train de disparaitre : a tout moment le lecteur peut écrire
La triple faculté de : publier, de lire ceux qui publient, ou de republier des tiers place chaque internaute devant une situation inédite
Le réseau transforme la relation entre le public et la création : la médiation traditionnelle par la presse ou une réputation établie est débordée par les recommandations des tiers
La quantité est devenue qualité : l'accroissement massif du nombre de participants a transformé leur mode de participation
Il n'existe plus sur Internet de distinction entre discipline artistique et culture populaire.
La hiérarchie est implacable : la culture des médias compte davantage que la culture artistique et littéraire.
Tout est posé sur le m^me plan comme affranchi  du poids des savoirs et de l'histoire
La culture fait face à un vertige neuf : l'absence totale de limite à son offre.
Le flux du même :
Sur Internet le m^me est un contenu cité, copié, détourné, , diffusé de façon rapide.Le m^me est l'appréciation collective d'un contenu. Il trouve  sa légitimité dans le buzz numérique

mercredi 2 octobre 2013

La Condition numérique (1)

Notes et commentaires à partir de l'excellent livre de Bruno Patino et Jean François Fogel.

1/ L'avénement de la connexion permanente : malgré toutes les évolutions technologiques (portables, consoles, tablettes..) l'homo sapiens n'est pas encore devenu homo numericus.
Ce qui change c'est avant tout le temps de la connexion permanente toute innovation finit par être dépassée , seule la connexion demeure.
L'histoire d'un internet :c'est d'abord la construction d'un nouveau  média:
- la création du 1ier navigateur Netscape pour voguer de page en page et de site en site
- la mise ne ligne du 1ier moteur de recherche efficace : Google
Puis le passage du média à l'espace social avec :
- le 23/04/2005 la 1ière vidéo mise en ligne "moi au zoo" et par la même la création de You Tube,1ière plateforme.(Jawed Karim)
- le 21/03/2006 l'envoi du 1ier Tweet avec une nouvelle techno : Twitter , un microblog envoyant des messages instantané (Jack Dorsey)
- le 26/09/2006 le réseau étudiant Facebook passe en accès libre
- le 09/01/2007 Steve Job présente l'iPhone d'Apple , un tel portable qui est aussi une plateforme de services formatés

Du Média à l'espace social :
Aucune de ces innovations n'a changé le quotidien des internautes mais leur adoption simultanée par une audience massive change internet du tout au tout:
Internet n'est plus un média, il se trouve être exactement le contraire de ce qui caractérise un média : la diffusion d'un contenu à partir d'une source unique.
Sur Internet tout récepteur est un diffuseur potentiel et les échanges massifs de recommandation l'emporte de loin sur les messages traditionnels.
La viralité sociale est devenue la dynamique d'Internet
Seul ensemble ,pourrait être l'expression de ce nouvel espace, qui appartient au champ social et interdit : l'isolement (mais pas la solitude)

L'immédiateté :
"Si nous vivons un âge de l'information, qu'est ce que nos enfants savent , que nous ne savions pas ?
La réponse c'est maintenant.Ils savent à propose de maintenant."
L'axe principal d'Internet n'est pas l'espace mais bien le temps.
Avant Internet l'expérience était une chose lente : approcher la chose , la connaître pour un jour la maîtriser. L'expérience numérique est autre : elle tient du flux, du rapport immédiat à la chose et de la sensation de ce rapport.
Showtime du spectacle occasionnel d'autrefois a été remplacé par Prime time, rdv médiatique quotidien, supplanté par le Breaking News  du flux numérique
Cette soumission à l'instantané entraîne :
-> une place plus grande au choc, à la surprise , à l'émotion
-> une narration fragmentée d'ajouts successifs
-> un univers fait d'alertes, de messages, de commentaires où  le désordre est actualisé en permanence
La popularité des jeux électroniques à précédé Internet et le passage de l'un à l'autre offre une continuité.

L'extension du réel :
Vouloir vivre au présent mène à une situation de pénurie : le temps manque
Tout est au bout de la connexion : du spirituel au temporel
Et des générations d'internautes ne cessent d'accentuer le phénomène :
- la G1 celle de la connexion temporaire ;gardent dans leur DD leurs données qu'ils stockent
- La G2 celle de la connexion permanente , toujours connectée; classe leurs données sur des plateformes
- La G3 celle du nuage , toujours connectée et dispose au bout de sa connexion de tous ses contenus et données privées.
Quand Internet propose d'agir sur le réel avec des réseaux sociaux , des appris, des interfaces de site, aucun doute n'est permis : c'est une extension du réel

2/ L'identité de l'internaute :
Internet écarte les repères utilisés depuis l'invention de la carte et de la pendule
C'est donc un univers social, temporel et spatial en réinvention totale que chacun se construit sa vie numérique

Une identité éclatée :
Depuis 2007 un internaute est dépassé par son ombre numérique c'est à dire que la majorité des données le concernant n'ont pas été produites par lui.
En 2010 une étude menée sur 50 sites des plus fréquentés constate que sur chaque page il est réalisé une moyenne de 10 collectes d'informations sur le visiteur.

3/ L'engagement :
Les échanges massifs ne sont pas des échanges personnels mais relèvent bien d'une activité déployée dans un espace social où les effets sont visibles de tous.
L'engagement de l'internaute n'a cessé de monter, année après année et se doit d'être de tous les instants.
Internet vit une mutation : de l'internaute individualiste des débuts à l'internaute mobilisé par son engagement dans les réseaux sociaux

Les interfaces de l'engagement :
Il se passe des canaux autrefois établi pour les relations sociales : conversation, courrier.Il va plus vite, est plus direct.
"L'essentiel du développement d'Internet depuis les années 70 s'est fait par deux caractéristiques : le fait de donner l pouvoir aux utilisateurs avec un fort niveau de contrôle ou d'autorité; la faculté offerte aux utilisateurs de développer des relations avec d'autres utilisateurs ". Jonnhy Ryan
L'internaute est à la fois le sujet et l'objet de ses actions.
Les outils et processus mis au service de l'engagement l'ont rendu si productif que pendant plusieurs années , on a surtout tenté de mesurer les relations sociales sur le réseau.

L'anthropologue Robin Dunbar qui a travaillé sur une corrélation entre les groupes sociaux et la taille du cortex (notamment chez les primates) a établi une loi pour l'homme , selon laquelle la taille moyenne d'un groupe humain engagé dans une vie sociale est à 140 individus.Même avec un coefficient d'erreurs à 100% , on est très loin des groupes relationnels créés par les réseaux sociaux.

Le passé présent :
Dans tous les groupes linguistiques étudiés il existe une convention ou le passé est derrière nous et le futur devant;
L'engagement sur Internet procède d'un effet rétro , d'un écho à ce qui a déjà été publié.
Tout le monde peut se saisir du passé d'un individu, disponible en permanence.

L'espace émotionnel :
L'apparition d'Internet coincide avec les débuts des travaux sur l'intelligence émotionnelle et ce n'est pas anodin.
Internet est un théâtre des émotions, qui a connu une réception identique à la tv : d'abord  perçu comme un média émotionnel par les médias sérieux et froids de l'écrit.
Interpellé pas chaque message, l'internaute est également bombardé de messages, qui créent les conditions classiques d'un stress : une situation ou la réponse émotionnelle est le seul mode de  gestion possible.
L'engagement de l'internaute n'est pas une simple impulsion électronique : en disant qu'il aime un contenu, il donne une petite part de soi;il s'expose car ce choix risque d'être déjugé par les autres.
Il met son émotion sur le marché, agissant comme un DM, qui n'oublie jamais ses clients (amis , suiveurs) , qui se sait construire sa marque en permanence et ne peut ignorer les résultats d'études de marché ( commentaires, reprises, retweets).