Ce gros livre paru en 1999 chez Gallimard et ressorti l'année dernière en poche chez Tel; gros par son poids bien sur, on frise les 1000 pages mais surtout pas son contenu, son retentissement dans la sociologie et la pensée critique.
15 ans après sa publication, on mesure peut être encore mieux la pertinence de la grille de lecture et les intuitions du modèle proposé par Luc Boltanski et Eve Chiapello.
Dès le prologue les auteurs nous expliquent que le projet est né au début 1995 d'un trouble commun suscité par la coexistence d'une dégradation de la situation économique et sociale d'un nombre croissant de personnes et d'un capitalisme en pleine expansion profondément réaménagé.
L'objectif que ce sont fixé les auteurs n'est pas tant de dénoncer ou proposer des solutions pour amender la situation que de comprendre l'affaiblissement de la critique et son corollaire c'est à dire le fatalisme dominant, que les changements actuels soient présentés comme des mutations inévitables mais à terme bénéfiques ou comme le résultat de contraintes systémiques aux résultats toujours plus désastreux.
L'objet est donc : les changements idéologiques qui ont accompagné les transformations récentes du capitalisme.
Une définition minimale du capitalisme : une exigence d'accumulation illimitée du capital par des moyens pacifiques.
Voici le modèle, tel que proposé de façon quasi axiomatique en fin d'ouvrage :
1L'axiomatique du modèle de changement :
11Le capitalisme a besoin d'un esprit pour engager les personnes qui sont nécessaires à la production et à la marche des affaires.
->ces personnes ne peuvent en effet mises et maintenues au travail de force
->la liberté est ontologique au capitalisme et suppose la liberté de travailler
12 L'esprit du capitalisme pour être mobilisateur doit comporter une dimension morale
->il doit offrir la possibilité aux personnes d'avoir recours à une notion de justice et à une certaine sécurité
->Le capitalisme ne pouvant trouver son fondement moral dans la logique du processus d'accumulation, doit emprunter à des forces de justification qui lui sont extérieures (nommées cités) les principes de légitimité qui lui font défaut
13 Le capitalisme pour se perpétuer a besoin à la fois de stimuler et de freiner l'insatiabilité
->il est le lieu d'une tension permanente entre la stimulation du désir d'accumulation et sa limitation par des normes correspondant aux formes que prend le désir quand il est enchâssé dans d'autres ordres de grandeur.
14L'esprit du capitalisme ne peut être ramené à une idéologie au sens d'une illusion sans effet sur les événements du monde
->Il doit dans une certaine mesure donner ce qu'il promet
->Il est sans arrêt mis à l'épreuve, l'invoquant comme un idéal, dénoncent ce qui dans la réalité échappe à la règle.
->La critique exerce des effets réels car pour résister dans l'épreuve la justification du capitalisme doit pouvoir prendre appui sur des dispositifs (règles, conventions) dont le droit est l'une des expressions
15 Le capitalisme a une tendance perpétuelle à se transformer
La recherche de nouveaux chemins de profits est une force puissante de transformation, soit qu'il s'agisse de surmonter les effets de saturation des marchés par la création de nouveaux produits ou services, soit qu'il s'agisse de restaurer des marges érodées par la concurrence en gagnant pour un certain temps un avantage sur les autres compétiteurs.
16 L'opérateur principal de création et de transformation de l'esprit du capitalisme est la critique (the voice)
->Si la critique n'est pas l'agent de changement principal, en revanche son rôle est central dans la construction de l'esprit qui , sous des formes différentes, à différentes époques, accompagne le capitalisme.
->Elle fait pression sur les épreuves identifiées de façon à les rendre plus justes en éliminant les forces parasites.
->Parce qu'elle contribue à former cet esprit, la critique est nécessaire à l'engagement des personnes dans le processus de fabrication du profit,elle est un de ses instruments de sa capacité à durer ; une alternative : soit ignorer la critique inutile, soit la récupérer.
17 Sous certaines conditions la critique peut être elle m^me un des facteurs de changement du capitalisme (et pas seulement son esprit)
18 La critique puise son énergie à des sources d'indignation.
->4 sources principale : l'exigence de libération, l'inauthenticité des personnes et des biens, l'égoïsme, la souffrance