mardi 15 novembre 2011

Saint Agustin : changer sa vie



Texte publié en août 2011 dans le Journal La Croix

«C’était ma vie, mais était-ce la vie ? », s’interroge Saint Augustin au livre trois de ses aveux (Les Confessions). Il y revient au livre douze, avec le souhait étonnant de « ne plus être ma vie » (non ego vita mea sim). Et il ajoute : « J’ai mal vécu de moi » (male vixi ex me). Il nous propose ainsi, dès la fin du IVe siècle, une relecture étonnante d’une vie en quête de changement. Il est sans doute le premier auteur à avoir posé aussi directement et intimement la question d’une nouvelle orientation de l’existence, comprise littéralement comme un changement du rapport à soi, comme une transformation du « vivre soi ».

Ce qui était d’une remarquable nouveauté et marquait une rupture dans la grande tradition de l’Antiquité, à laquelle appartenait Augustin, du souci ou du soin de soi. Sans doute faut-il rappeler et souligner que l’œuvre d’Augustin, ce Nord-Africain passé par les plus grands centres culturels de l’Empire (Carthage, Rome et Milan), est d’abord l’œuvre d’un migrant.

À la lecture des « treize livres de ses aveux » (ou confessions), qu’il rédigea probablement autour de l’année 397, une fois nommé évêque de Hippo Regius (Hippone la Royale, port méditerranéen de l’Africa Nova, province numide soumise aux Romains, et situé à trois kilomètres de l’actuelle Annaba en Algérie), on devine qu’Augustin se comprend très tôt, très vite comme un exilé. Il va d’ailleurs jusqu’à décrire l’acquisition du langage humain par l’enfant comme si ce dernier arrivait dans un pays étranger sans en comprendre la langue. Comme si l’enfant, dès son plus jeune âge, devait changer de perspective et s’adapter au monde étranger qui l’accueille.

Nous sommes en voyage en ce monde, des pèlerins marchant dans l’existence comme des étrangers en terre inconnue. Citoyens, écrit-il, d’une « terre du manque ». Changer « le vivre avec soi » sera la grande aventure de ce migrant qui inventera pour cela un acte de parole étonnant, là encore en dissidence de la culture antique dominante : l’acte d’avouer sa vie. Chez les Grecs et les Romains, la confessio n’a pas sa place si ce n’est dans les prétoires. Mais Augustin en fait l’acte, à la fois intime et public, de dessaisissement de soi. L’acte d’un changement de perspective.

On a souvent assimilé la confession à un examen minutieux et violent de soi, mais l’aveu augustinien consiste moins à rétablir un équilibre ou à retrouver un état perdu qu’à trouver les forces du changement de soi. Ce qui surprend, très vite, à la lecture des aveux d’Augustin, c’est bien cette volonté de saisir le changement, sous la forme d’un appel. Il y a bien, dit-il, un lieu en moi où peut arriver quelque chose, où peut se faire entendre une voix autre.

Cet événement, Augustin le nomme d’emblée : c’est Dieu. Dieu est celui qui appelle en moi. Dieu est cet événement de l’appel malgré moi. Des ses aveux, Augustin tirera un mouvement intérieur et littéraire qui, partant de la dispersion et du déchirement de la vie, conduit à l’unité et au centre. Il fait le récit de ses blessures pour écrire le chemin personnel qui conduit à un point d’invulnérabilité. « C’est en fuyant ma vie que je la cherchais », écrit-il au livre six de ses aveux.

Fredéric Boyer

Ecrivain