Encore plus petit que le dernier livre de Peter Sloterdijk (72p) et d'une certaine façon complémentaire de son point de vue tous deux rendent hommage à Bruno Latour), Harmut Rosa défend la thèse que notre société démocratique pour continuer à fonctionner et à faire face à ses problèmes systémiques a besoin, non pas des institutions mais de la pratique religieuse. Elle peut les aider sur le plan politique et spirituel.
#Notre société obligée sans cesse de croitre , d'accélérer, de se propulser en permanence, a perdu le sens du mouvement , elle est dans une situation de crise.
En parallèle la pratique religieuse ne fait que reculer au point où l'on peut s'interroger de savoir si l'Eglise n'est pas le reliquat d'une autre forme de société, d'une autre forme de relation au monde.
Les sociétés pré modernes couvraient les propres besoins et avaient un sens assez exact de ce qu'il fallait pour survivre. Mais avec le temps ,on constate qu'elles ne sont pas statiques : elles sont traversées d'innovation et de changements qui vont souvent de pair avec l'accélération de la croissance.
#La dépense croissante d'énergie : Les êtres humains ont besoin d'énergie pour générer de l'énergie. Pendant des millénaires, ils ont produit la quantité nécessaire pour atteindre leur but: survivre. Puis en intégrant des innovations successives en pratiques culturelles, ils ont progressivement appris à produire plus à partir de la même quantité d'énergie de départ (capture d'énergie)
Le problème de notre société est de dépenser toujours plus d'énergie pour maintenir l'état des choses existantes . C'est irrationnel! Il faut toujours faire plus de croissance, augmenter la production, innover en terme de produit ou de processus productif.
Le leitmotiv est : il faut de la croissance , mais que voulons nous faire croitre exactement? Face à la crise climatique, à l'érosion des sols, à l'épidémie de surpoids, à la récente pandémie, la croissance est-elle la meilleure réponse?
La croissance ne produit que de la simple avidité , du vouloir plus et l'ensemble de l'édifice social ne tient plus sans elle car sans croissance on détruit des emplois, on baisse les recettes fiscales et on augmente la recette publique, on ne peut plus maintenir ni la retraite , ni l'assurance maladie.
Par conséquent nous vivons dans un système où sans cesse nous devons aller plus vite, il faut accélérer. Nous devons produire plus, nous avons besoin de toujours plus d'énergie pour maintenir l'état de choses existant.
#L'épuisement des énergies : Nous les êtres humains, devons aller toujours plus vite ce qui implique une organisation sociale qui engendre systématiquement un rapport d'agression au monde. Chaque année nous devons faire un plus, les industries doivent produire un peu plus, ce qui engendre un rapport d'agressivité de notre environnement..
C'est vrai aussi en politique où l'agressivité croit de façon manifeste. Celui qui pense différemment n'est plus simplement regardé comme un interlocuteur mais comme un ennemi répugnant qu'il faut faire taire.
Cela se reflète enfin dans le phénomène de burn out ,l'épidémie de burn out , où il s'agit également d'une problématique d'énergie psychique . Nous avons créé un problème d'énergie pour le climat et un problème d'énergie pour le psychisme : les deux s'épuisent .
#L'immobilité fulgurante : l'augmentation de la dépense d'énergie a été un des moteurs essentiels pour créer toutes les ressources dont nous disposons aujourd'hui ; en augmentant la force de production (Marx) une pacification de l'existence a été possible . Une illusion/promesse également est née : en exploitant la nature nous réussirions à combler tous nos manques, nous serions sortis de la précarité et nous n'aurions plus besoin de nous battre au quotidien. Nous savons aujourd'hui que ce n'est pas vrai tout comme ce n'est pas avec le progrès scientifique que disparait l'ignorance.
Avec le réchauffement climatique la lAujourd'hui les gens se prennent mutuellement pour seutte concurrentielle et mondialisée va devenir de plus en plus aiguë. La concurrence va se durcir par l'amenuisement des ressources.
Parallèlement le non savoir augmente : plus la nourriture est abondants , plus on doute de ce qu'il contient de manger ou non (intolérances) , plus nous savons des choses sur la grossesse plus la peur de l'accouchement augments, plus nous savons des choses dans tous les domaines, plus l'insatisfaction augmente et ce dans tous les domaines.
Nous ne sommes plus convaincus d'aller vers une vie bonne grâce à la croissance, d'aller vers un rapport épanoui au monde. La promesse ne tient pas.
Si le système de société moderne, la modernité a bien réussi c'est parce que les gens avaient le sentiment de travailler pour un avenir meilleur . C'était une conviction profonde, intergénérationnelle et interclasses.
Aujourd'hui, l'ambition est à la baisse et la conviction de la Silicon valley est plutôt de tout faire pour que la vie de la génération suivante ne soit pas beaucoup moins bonne que la notre.Les enfants sont convaincus qu'ils ne pourront tenir ce niveau de vie et l'intègrent déjà dans leur mode de vie
"C'est un point crucial à mes yeux. Nous n'avons plus le sentiment d'aller vers un avenir prometteur , nous fuyons plutôt un gouffre qui se rapproche dangereusement par derrière."
L'immobilité fulgurante c'est de devoir courir plus vite chaque année pour ne pas tomber dans le gouffre qui nous rattrape de plus en plus vite notamment avec la crise du climat.
#Le besoin de religion : la démocratie ne fonctionne pas sous ma modalité de l'agressivité. Il ne suffit pas que ma voix s'exprime, encore faut il que des oreilles l'entendent. Aujourd'hui les gens se prennent mutuellement pour des idiots et cela devient pesant quand on veut tout miser sur la démocratie, crédo de notre société.
Max Weber définit la probité intellectuelle comme le fait d'entendre qu'il y a peut être chez mon interlocuteur des arguments qui me concernent, qui ont quelque chose à m'apporter. Pas seulement : "j'ai quelque chose à te dire " mais aussi "tu as quelque chose à me dire", "je veux me laisser atteindre par toi"
L'idée républicaine de la démocratie est que cette atteint réciproque engendre une transformation réciproque.
La démocratie a donc besoin d'in coeur quoi écoute , sinon elle ne fonctionne pas.(Salomon)
Ce sont justement les religions (ou organisation spirituelles) qui disposent de narrations, de réservoirs cognitifs, de rites, de pratiques et d'espace où un coeur peut s'exercer à cette écoutée peut être en faire l'expérience.
La thèse fondamentale de rosa est : nous devons nous laisser appeler.
Notre disponibilité à l'appel est en crise et cela se traduit tout autant dans la crise de foi que dans celle de la démocratie .
Comme le dit Bruno Latour : "le plus important est que nous arrêtions"
# La résonance comme vecteur de ma transformation : le lieu ou quelque chose de neuf advient. Je ne sais pas du tout ce qui va advenir en étant appelé, ainsi commence un moment de résonance avec 4 composants déterminants :
- un moment qui vient me déranger, une transgression : pas un moment d'harmonie, cela ne peut pas être ce que j'ai toujours pensé ; cela signifie entendre un résolument autre , et cela peut tout à fait donner lieu à des frottements .
- resentir la connexion : ce que je fais entre en relation avec cet autre. ; quelque chose m'atteint m'appelle et je réponds; je constate qu'une connexion se crée du fait que je suis en mesure de réagir à ce que je reçois. L'attitude physique, l'orientation du regard changent , les yeux s'illuminent : nous réagissons à l'appel, nous en faisons quelque chose et nous sentons vivants à cet endroit là.
Le moment où je me sens vivant est exactement celui où je ne suis pas seulement appelé par quelque chose mais où je constate aussi que je peux faire quelque chose avec ce qui m'atteint, avec la voix , la musique que je rencontre.
- réagir de façon auto efficace à ce qui nous a touché : c'est le moment de la transformation. Je commence à voir le monde autrement ou à penser différemment. Le burnout est précisément l'état où je ne suis plus capable de résonance.
- il n'est pas possible de forcer ce moment : plus les gens montrent ostensiblement de l'enthousiasme, moins il y a eu de résonance. La résonance n'est pas un mode d'optimisation.
La nativité chez Hannah Arendt : soudain une nouvelle idée à laquelle je n'avais pas pensé nait.
Conclusion : la religion dispose de tels espaces , elle aspire à les proposer. Elle dispose d'éléments qui peuvent nous rappeler qu'un autre rapport au monde que celui visant la croissance et l'exploitation est possible. Elle propose une autre conception du temps qu'un rapport économique . Un autre rapport à l'espace aussi : quand on rentre dans une Eglise, il n'y a rien , que l'on puisse s'approprier, acheter: la modalité de l'agression n'y trouve pas d'objet.
Les meilleures interprétations religieuses sont fondées sur l'idée et la mise en présence de relations de résonance.
L'idée qui sous tend tous ces gestes et rites est toujours de nous permettre d'établir un lien, une relation de résonance avec le monde et avec un autre monde. Quelque chose me touche et libère en moi une force de transformation.
La Religion puise sa force intrinsèque dans le fait qu'elle offre une sorte de promesse de résonance verticale, dans le fait qu'elle dise : mon existence n'est pas fondée sur un univers muet, froid , hostile ou indifférent, mais sur une relation répondante.
La Bible, la foi , l'Eglise formulent cette promesse : il y quelqu'un qui a pensé à toi, qui t'a appelé toi, qui t'entend, même si l'on ne peut disposer de lui ici et maintenant.
La question de savoir si Dieu existe , s'il existe un épreuve , si la Bible explique le monde ne l'intéresse pas , ce qui l'intéresse c'est le type de relation au monde qui nait dans la pratique religieuse.