samedi 7 octobre 2023

Commentaire 102 Le remords de Prométhée

 

Très joli livre de Peter Sloterdijk qui retrouve le champ politique et des thèses assez proches de son ami Bruno Latour sur comment penser un futur  "post-anthropocénien". L'originalité du livre est dans sa méthode : revisiter un mythe fondateur de notre humanité, Prométhée , en faire l'analyse , pour en mieux le déconstruire et repenser notre "métabolisme avec la nature".

# Pour Sloterdijk, le mythe de Prométhée est ce que Bernard Stiegler appelait un "pharmakon", c'est à dire autant un remède qu'un poison. Remède car en découvrant le feu l'homme découvre comment maîtriser  l'énergie pour faire cuire ses aliments et forger des armes affutées (d'abord pour chasser et se défendre des bêtes puis des hommes). Poison de par le développement exponentielles de la puissance dégagée par l'association de ce  processus pyrotechnique aux forces  musculaires externe (humaines, animales ou mécaniques)

#A l' époque des chasseurs cueilleurs, ceux ci  sont encore trop faibles pour détruire la capacité de reproduction de leurs proies et les cycles de croissance de leur environnement végétatif : il existe alors une sorte de réciprocité entre l'homme et la nature. Ils ne comptent que sur leur puissance musculaire interne au moment de la découverte du feu.

#La découverte de l'extension de la chasse de la proie animale à la chasse de la proie humaine va constituer une première révolution : celle de l'instauration de l'esclavage en parallèle à la domestication des animaux. A la force musculaire interne à l'homme vient alors s'ajouter la force externe , celle de l'esclave ou de l'animal. Si bien que la somme des dépenses musculaires dans un système agro impérial résulte avant tout des prestations fournies par les esclaves. L'histoire des installations motrices mécaniques ne commencent pas avec les moulins à eau du Moyen Age mais avec l'esclavage.

#Se raconter sa propre histoire comme un processus de libération progressive fait partie des mythes de la modernité . Avec les machines qui convertissent ce qu'on appelait "la force vapeur" en énergie cinétique s'ouvre un nouvel horizon à partir du 17ème siècle.Dans les chambres de combustion, ce que l'on brule  n'est plus seulement le bois des forets ou la tourbe ou le charbon de bois mais le charbon puis le pétrole.

La foret souterraine de la terre devient l'objet d'une sylviculture hybride sans plantation  ni entretien durable de la forêt. Ainsi les civilisations modernes ne sont en réalité que les effets d'incendies de foret que les gens d'aujourd'hui allument dans les reliques de l'antiquité de la terre.

Un siècle plus tard le charbon était devenu l'agent primaire d'une industrie insatiable caractérisée par la métallurgie et à laquelle l'Angleterre devait sa position dominante au monde.

Chaque fois que l'on parlera désormais d'augmentation, de multiplication  et de croissance , l'énergétique jouera un rôle essentiel; est alors appelé réel ce qui contient de la force et le monde est représenté comme un grand chantier de forces agissantes. 

En alliance avec les progrès de la technique mécanique, la marchandise énergie (produite à partir du charbon minerai) deviendrait toujours meilleure marché que la marchandise main d'oeuvre, ce qui expliquerait pourquoi le métabolisme de l'homme avec la nature se décalerait toujours du côté de la machine.

Presque personne ne conçoit à l'époque que ce grand incendie allait avoir un autre effet que celui de l'épuisement des ressources, notamment la permanence de particules excédentaire de CO2 dont l'accumulation d'abord imperceptible s'était ultérieurement condensé en un phénomène appelé "changement climatique "

Une nouvelle formule entra alors en vigueur du métabolisme de l'homme avec la nature : pouvoir de commandement plus main d'oeuvre plus système de machines motrices plus vecteurs d'énergie fossile plus déchets ou émissions.

Prométhée est tout à coup contraint de comprendre qu'il a raison d'avoir honte.Il n'avait pas prévu que le feu qu'il avait rapporté  du char solaire sur la terre allait se transformer en un gigantesque incendierai consumerait le monde dans un nombre incalculable de foyers.