Parfois les éditeurs mettent un peu de temps à traduire les bons livres : écrit en 2006 sous forme de chronique de presse, Gallimard va mettre près de neuf ans à le publier en France.
On se demande bien pourquoi : sujet plutôt en vogue ( la grande mutation du temps présent), point de vue singulier, intelligence de l'analyse , ton humoristique, tout est réuni pour un bon livre.
Et c'est le cas , Les Barbares est un bon livre avec si ce n'est un point de vue totalement original ,une façon de raconter , de chroniquer l'invasion barbare qui nous éclaire tout particulièrement sur les" temps modernes".
Au passage la lenteur dénoncée de Gallimard a eu un mérite : tester la solidité des analyses 9 ans après.
Un des effets de ce livre nous dit Baricco dans sa préface française, est que beaucoup de gens ont été obligé d'accepter qu'ils ne pourraient plus expliquer les choses par l'habituel sermon sur les jeunes qui ne lisent plus, qui vont dans les fast food et qui ignorent qui est Antonioni.
#La Méthode de lecture proposée :
Le Bruit court : les barbares arrivent , ils sont en train de re dessiner la carte: ce sont des mutants qui remplacent un paysage par un autre et viennent créer leur habitat.
-> "Je voudrais scruter cette mutation, non pour en expliquer l'origine (c'est impossible) mais pour parvenir, fût ce de loin à la dessiner.Comme un naturaliste d'autrefois qui dessinait sur son carnet une nouvelle espèce découverte dans une petit ile d'Australie."
# Quelques thèmes d'analyse :
Le vin, le football, l'édition vont être ainsi disséqués avec à chaque fois la proposition d'une mutation de geste :
-> "Une invention technologique permet à un groupe humain aligné essentiellement sur le mode culturel impérialiste d'accéder à un geste qui lui était jusque là interdit et qu'il relie d'instinct à un spectaculaire immédiat, à un univers linguistique moderne, conduisant ainsi ce geste à un succès commercial foudroyant ".
Ainsi le vin à l'origine produit sous forme de vin de table en grande quantité et de grands vins pour quelques happy few. En France comme en Italie le vin était la boisson la plus répandue. Dans tous les autres pays on buvait plutôt de la bière et des alcools forts et ce jusque dans les années 80.
Et aujourd'hui le monde s'est renversé : depuis que les américains ( Mr Mondavi) ont décidé de faire du vin ,une boisson certes moins noble mais accessible au plus grand nombre.
En 30 ans ils ont quintuplé leur consommation et en boivent aujourd'hui plus qu'en Europe.
Plus fort encore : ils ont exporté dans le monde entier ce non à l'américaine si loin du "french spirit of wine"
Cette expansion a eu également des conséquences sur la production mondiale en imposant une norme culturelle moins exigente de la qualité : -> l'âme se perd quand on vise la commercialisation massive.
Plusieurs mouvements sont observables autour de cette mutation :
- une innovation technologique majeure : la climatisation; impossible de faire fermenter du vin là où on trouve des fortes chaleurs ou des fortes variations technologiques; donc impossible de faire du vin en dehors des nobles terres européennes (mythe précédent) ; sauf qu'avec l'air climatisé c'est possible et cela vient briser les privilèges de la caste qui détenait le primat de l'art (destruction du mythe)
- la révolution linguistique : parler du vin était compliqué et là aussi réservé à une élite; à partir du moment ou Parker, un américain a inventé un nouveau langage à partir de notes, le classement des crus est beaucoup plus simple et le choix des consommateurs facilité.
Les barbares utilisent toujours une langue plus simple , une langue moderne
- le spectaculaire devient la valeur : loin d'une baisse de qualité, les barbares inventent une nouvelle façon de faire qui devient référante, oubliant ou plutôt ignorant celle d'avant