vendredi 23 octobre 2009

« La peur du déclassement bride la société française »



Reprise d 'un papier des Echos sur la présentation du nouveau livre d'Eric Maurin.

Dans un essai à paraître aujourd'hui, le chercheur Eric Maurin pointe l'angoisse du décrochage qui touche notamment les classes moyennes. Une peur favorisée, selon lui, par les réponses politiques, qui tendent à renforcer la protection des salariés.
Une angoisse sourde, qui taraude un nombre croissant de Français. »Pour Eric Maurin, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), « la peur du déclassement »,titre de son livre (1) qui paraît aujourd'hui, imprègne la société française. Peur du chômage, de voir ses enfants sortir du système scolaire sans qualification, mais, plus largement, peur de perdre les avantages acquis : pour l'auteur, la société française est rongée par la hantise du décrochage.
Pourtant, le risque est faible : en 2009, en pleine crise économique, seuls 300.000 salariés en CDI ont été licenciés. « Une proportion infime, à peine 1 % de la population active » , rappelle Eric Maurin. Il n'empêche, la peur l'emporte.
L'exemple de la crise de 1993

Le sociologue rappelle notamment un exemple révélateur : « En 2007, l'Insee recensait 14.600 sans-abri ; si l'on retient le chiffre de 100.000 personnes, avancé par les associations d'aide aux SDF, on peut calculer que 0,16 % de la population vit dans la rue. Or, d'après un sondage réalisé en 2006, 48 % des Français pensent qu'ils pourraient devenir un jour SDF ; deux ans plus tard, avec la récession, cette peur s'est encore accrue, 60 % des personnes s'estimant désormais menacées. »
Cette peur de l'avenir se mesure particulièrement lors des crises économiques, comme celle de 1993, qui a vu le nombre de jeunes diplômés se tourner vers la fonction publique exploser. Avec la crise actuelle, le schéma pourrait se reproduire, vu la dégradation brutale du marché de l'emploi pour les jeunes diplômés.
Au-delà du constat, l'intérêt de l'ouvrage d'Eric Maurin est dans l'analyse des causes. « Depuis cinquante ans, les politiques publiques ont systématiquement privilégié la protection de ceux qui ont déjà un emploi plutôt que ceux qui n'en ont pas. Le résultat, c'est que la perte de statut est devenue un choc terrible : les individus peuvent tout perdre d'un seul coup. C'est une hantise, notamment pour les classes moyennes et supérieures », explique-t-il.
Le constat est particulièrement vrai au niveau de l'école. Le chercheur s'est livré à une analyse dans le temps long - de 1975 à aujourd'hui - de la valeur des diplômes face au chômage. Le constat est sans appel : « En 2008, le chômage parmi les diplômés du supérieur est inférieur à 10 %. Pour les non-diplômés, il monte à 50 %, soit un écart de 40 points. La différence n'était que de 10 points en 1975 ! La valeur des diplômes n'a jamais été aussi forte, mais, dans le même temps, échouer à l'école n'a jamais été aussi disqualifiant »,souligne Eric Maurin.
« Des blocages irrémédiables »

La conséquence de cet attachement aux statuts est politiquement dramatique. « Tout projet de réforme est perçu comme une remise en cause d'acquis chèrement acquis. On en arrive donc très vite à des blocages irrémédiables », remarque le sociologue. Il pointe notamment les limites de la réponse politique. « Pour absorber cette peur, il faudrait atténuer l'écart entre les catégories, afin que le déclassement social soit moins dramatique. Or, les politiques ont pris l'habitude, face aux crises, de renforcer les protections dont bénéficient les populations. »
De quoi faire prospérer, selon Eric Maurin, la « société des statuts. »

MAXIME AMIOT, Les Echos