mercredi 10 février 2010

Paroles de psys sur la Crise(3)



Suite du récit et commentaires du colloque de la SFP avec l'intervention d'Yves Clot sur les risques psycho sociaux intitulée : le recyclage de la souffrance au travail en gestion d'entreprise.
Depuis la mise en application de l'Accord National Interprofessionnel sur le Stress au Travail",ici commenté, les partenaires sociaux des grandes entreprises sont, d'ici fin février 2010, sommés de recenser et de se mettre d'accord sur les facteurs- solutions-plans d'action liées à la souffrance dans l'entreprise.
1/un nouveau dispositif de gestion se met en place , à coup de n° vert, cellule psychologique, un "processus de retraitement des déchets du travail " dit Yves Clot ,qui ajoute : "tout un dispositif de gestion se met en place alors que c'est la gestion elle même des entreprises qui est en cause" .
En effet plutôt que de réfléchir sur le fond, le pourquoi de la situation, on équipe les managers d'un nouveau système de prêt à penser dans les situations difficiles : une liste de critère comportementaux plus ou moins fiable est ainsi en cours de définition, critères indicateurs d'un individu sous stress (de l'emportement au mutisme en passant par le manque d'enthousiasme les exemples cités son terrifiants); une forme de "délation collective " est ensuite censée s'organiser pour signaler les personnes en souffrance à la hiérarchie.
Il s'agit bien des mécanismes décrit par Foucault d'internalisation de la norme et d'auto surveillance dans sa théorie du pouvoir moderne.
2/quelles sont les causes réelles ?
- la transformation des critères au travail : les transformations ces dernières de nombreuses entreprises dans leurs métiers,leur modèle économique, leur organisation, leurs mode de fonctionnement entraîne très souvent une évolution des critères de travail. Bien faire son travail ou mal faire son travail prend petit à petit un autre sens sans forcément de définition ou d'imposition de nouveaux critères. Plus une entreprise aura un historique , une culture forte des métiers traditionnels plus ces critères seront ancrés et leur évolution sensible.
Ainsi à la SNCF quand depuis 100 ans de multiples métiers se reconnaissent dans la définition du cheminot et tous partagent un critère avec différentes contributions selon les postes mais un critère unique de : "faire arriver les trains à l'heure". Découper l'entreprise "du train" en plusieurs entreprises à vocation "métier" (rail, voyageurs.) ,entraîne une évolution majeure des critères et des rapports entre les métiers : il n'est qu'à écouter les débats récurrents sur l'imputation des responsabilités entre société en cas de retard ou chacun cherche à faire porter le chapeau ( et les pénalités financières de retard) à son ancien collègue de travail.
On pourrait faire le même exercice avec France Télécom et d'une culture et de critères très techniques à une culture plus commerciale, plus business parfois au détriment de la fiabilité technique (le fameux débat sur la sur qualité dans les entreprises)
- le conflit des valeurs : voilà le problème en passant de critères nobles ( qui faisaient la réputation de l'entreprise) et traditionnels ( pour lesquels on est parfois entré dans l'entreprise) à de nouveaux critères pas forcément explicites et au minimum nouveau,le risque de conflit ou plutôt la valeur négligée comme on dit en Narrative, apparaît.
Car ce qui semble le plus faire souffrir c'est la tâche que l'on ne fait pas telle que l'on voudrait la faire (plus que celle que l'on fait et que l'on n'aime pas forcément faire). C'est "l'activité impossible" c'est à dire l'effort qu'il faut faire individuellement et collectivement pour refouler ce qu'il faudrait faire.
- la dégradation pathologique : la quête de reconnaissance par autrui est d'autant plus grande qu'on ne se reconnaît plus dans ce qu'on fait. On supporte mieux la non reconnaissance de l'autre si on se reconnaît dans ce que l'on fait. L'inverse n'est pas vrai car il est toujours étrange d'être reconnu pour ce qu'on ne fait pas.
une définition de l'activité serait de vouloir laisser son empreinte dans le monde, de créer des contextes pour le vivre;quand on ne peut plus ,on se met à vivre dans un contexte et alors le pathologique est proche.
- Le déni du conflit : comme dans le cas de France Télécom ne vient évidemment qu'aggraver le manque de reconnaissance et renforcer le caractère anxiogène de la situation.
- Comment en sortir ? Peut être en inversant la proposition : plutôt que de considérer que les individus ont des difficultés à faire face aux demandes de l'organisation, on peut renverser en: comment faire en sorte que les personnes "sortent plus grandes " que la tâche qu'ils ont à accomplir. C'est à dire comment créer les conditions pour que les personnes elles mêmes puissent avoir les moyens de transformer la tâche, d'en définir les critères de qualité.
C'est ce que j'appelle de mes voeux à travers l'innovation managériale pour créer un nouvel environnement collaboratif .