"Que le peuple français est donc changé!
Les hommes de ma génération ont la fois le visage plus dur et plus pathétique, les traits plus virils, le regard plus enfantin, et je-ne -sais-quoi de plus ancien, de las , de décidé, de sévère, des visages de français du tels où la différence entre la France et l'Europe était bien plus importante qu'aujourd'hui, du temps où la France était d'avantage France et moins Europe: où elle était en France. Presque tous les hommes qui avaient entre vingt et vingt-cinq ans en 1914 portent la moustache, ont les cheveux coupés court, sans soin, le front bas, les yeux clairs dans un visage sombre à la peau opaque..
Ce sont des hommes d'une race plus dure , qui s'habillent plus simplement, demeurés fidèles à la casquette, aux souliers à lourde semelle, au pantalon de velours serré à la cheville, à la cravate nouée sur une chemise de toile écrue. Leur moustache retombe des deux côtés de la bouche, et c'est une bouche marquée par les coups de rouge, les pernods et les absinthes d'autrefois, par l'éternel mégot de caporal au coin des lèvres.
Ils parlent de la gorge, en un argot qui n'est pas l'argot prolétarien d'aujourd'hui.. La langue parlée par les hommes de ma génération , c'est celle de Cendrars, d'Appolinaire, de Pierre Mac Orlan et de Francis Carco.
Il faut venir ici, à la Villette, à Saint Denis, à pantin, aux Buttes Chaumont, à Villejuif, dans la ceinture , sur les fortins pour retrouver, campant côte à côte, mais sans se mêler, sans se confondre, étrangères l'une à l'autre, l'ancienne race des Français, des Français de la France, et cette race nouvelle qui est en train de se former petit à petit en Europe , la race européenne."
Curzio Malaparte Journal d'un étranger à paris 1967.